La lutte contre l'alcool, trop peu vigoureuse

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Publié le 29/03/2018
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L'alcool fait figure de grand oublié du volet « Priorité prévention » de la Stratégie nationale de santé, avec deux mesures « cosmétiques » qui ne satisfont pas les acteurs de l'addiction.

Dans un communiqué commun, neuf experts (dont les psychiatres les Prs Michel Raynaud et Amine Benyamina, le vice-président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, le Dr Bernard Basset, et l'épidémiologiste Catherine Hill) rappellent les mesures qu'ils auraient aimé voir figurer dans la stratégie nationale de santé : meilleure information des consommateurs, suppression des messages trompeurs tels que la modération, contrôle strict et répression de la vente aux mineurs, politique de taxation et de prix et encadrement de la publicité (interdiction des publicités proches des établissements scolaires par exemple).

La main invisible des lobbies

Mais la mesure dont l'absence a vraiment retenu l'attention est le remplacement de la mention « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé » par « l’alcool nuit à la santé ». Interrogée sur RTL mardi 27 mars, Agnès Buzyn s’est dite opposée à ce remplacement qu'elle assimile à « une action de prohibition ». La ministre annonce qu'elle préfère privilégier l'information des Français.

« Le lobby de l’alcool a mis un holà très clair », juge auprès du « Quotidien » le président de la Fédération française d'addictologie, le Pr Amine Benyamina. « On a le sentiment que le bras [de la ministre] a été retenu, et qu'elle s'est repliée sur les deux seules populations que les lobbies ne peuvent pas inciter ouvertement à consommer : les femmes enceintes et les enfants. »

S'il regrette l'absence de mesure sur la publicité, l'accessibilité et le prix des boissons alcoolisées, le président de la Fédération Addiction Jean-Pierre Couteron trouve tout de même « abusif de dire qu’il n’y a rien sur l’alcool », pointant le fait que les deux mesures du plan s'adressent aux publics les plus vulnérables : les jeunes et les femmes enceintes. La mesure numéro 2 propose en effet d'augmenter significativement la taille du pictogramme « interdit aux femmes enceintes » et de mettre à disposition des auto-questionnaires sur la consommation d'alcool, de tabac et de cannabis. « Ce n'est pas la révolution mais on a trop travaillé sur les syndromes d’alcoolisation fœtale pour ne pas se réjouir de cette petite avancée », ajoute-t-il.

Autre mesure de « Priorité Prévention » : proposer systématiquement un accompagnement spécialisé aux jeunes admis aux urgences ou hospitalisés après un épisode d'alcoolisation massive. Cette mesure, qui se base sur les résultats de l'expérimentation du projet AURIA (Admission aux Urgences de Rennes des Adolescents en Ivresse Aiguë), « fait le lien avec les équipes hospitalières, les consultations jeunes consommateurs et les milieux de vie », selon Jean-Pierre Couteron.

L'avis de l'INCa ignoré

L'institut national du cancer (INCa) a publié mardi 27 mars les principaux chiffres de 2017 sur le cancer en France. L'institut y appelle à « un renouvellement de l’action publique et à la mise en place de nouveaux repères de consommation ». En mai 2017, un avis conjoint de l'INCa et de Santé publique France proposait que les pouvoirs publics recommandent aux consommateurs d'alcool de ne pas consommer plus de 10 verres standards par semaine, et pas plus de 2 verres par jour pour les hommes et les femmes.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9652