« Personne ne peut contester que nous avons assisté ces dernières années à une inflation des coûts dans le domaine des médicaments du cancer. Sur les quinze ou vingt dernières années, le marché global des anticancéreux a pratiquement été multiplié par dix. Cela étant, il convient de relativiser tout le discours qu’on entend aujourd’hui sur l’explosion des budgets consacrés aux médicaments de cancérologie », souligne le Pr Gilles Freyer, directeur de l’Institut de cancérologie des Hospices civils de Lyon. « En effet, il faut rappeler que le poids du cancer en France, c’est 14 milliards d’euros par an, soit 10 % du budget de l’Assurance-maladie, ajoute-t-il. C’est moins que les pathologies des personnes âgées, en particulier les démences ou les maladies respiratoires. Quant aux médicaments de cancérologie, ils représentent seulement 1,5 % du budget de l’Assurance-maladie ».
Le Pr Freyer met aussi en avant les innovations thérapeutiques dans le domaine du cancer. « Notre discipline reste celle où on innove le plus : 50 % de l’innovation thérapeutique médicale vient de la cancérologie. Et l’innovation a un impact sur la croissance et les emplois. Aujourd’hui, nous avons aussi de plus en plus de patients qui guérissent ou qui vivent plus longtemps grâce à une chronicisation de leur maladie. Et ce sont autant de personnes qui, souvent, redeviennent des acteurs économiques », souligne-t-il.
Comme de nombreux cancérologues, le Pr Freyer a aujourd’hui de fortes inquiétudes sur la possible sortie de la liste en sus de certains médicaments « majeurs » et très utilisés en cancérologie. « On sait qu’il y a volonté des pouvoirs publics de faire des économies. Et pour y parvenir, ils envisagent de retirer de cette liste plusieurs médicaments, tels que l’Avastin, l’Erbitux, l’Alimta ou le Caelyx. Avec cette mesure, l’objectif est d’obtenir une économie d’environ 250 millions d’euros, ce qui est assez peu en réalité. Et le problème est que, si elle mise en œuvre, cette mesure aura des conséquences sur la prise en charge des malades. Car il est clair que bon nombre d’établissements ne pourront plus assumer le coût de ces médicaments », explique le Pr Freyer.
Les cancérologues font en effet valoir que le montant des forfaits des chimiothérapies de jour ne permet pas aux établissements de rentrer dans leurs frais. « Aujourd’hui, ce forfait est à 350 € alors qu’une perfusion d’Avastin, par exemple, coûte 1 200 €. Si on sort ce médicament de la liste en sus, quelques établissements pourront peut-être continuer à assumer financièrement sa prescription. Mais cela ne sera pas le cas de la grande majorité d’entre eux. Et à terme, on risque d’aboutir à des inégalités territoriales dans l’accès à des traitements de qualité alors que notre ministre affirme que la lutte contre ces inégalités est une de ses priorités. Et il faut bien avoir conscience que c’est la survie des patients qui sera impactée », indique le Pr Freyer.
Pour justifier la sortie de ces médicaments, les tutelles mettent en avant la possibilité d’avoir recours à des alternatives thérapeutiques. « Mais cela n’est pas toujours possible si on veut assurer la même efficacité de traitements pour les patients. Si un établissement ne peut plus prescrire de l’Avastin, il devra se remettre à délivrer des chimiothérapies cytotoxiques, c’est-à-dire des traitements du passé qui sont moins efficaces et avec plus d’effets secondaires », indique le Pr Freyer.
Selon lui, il faut revoir le système des évaluations médico-économiques du médicament en France. « Ces décisions sur la liste en sus sont prises à partir du niveau de SMR et d’ASMR. Or, le problème est que ces outils n’ont pas été conçus comme des indicateurs médico-économiques. Et les SMR sont de plus en plus figés avec un jugement de plus en plus sévère porté sur les médicaments. On voit régulièrement des molécules désormais classées en SMR 5 alors qu’il y a 20 ans, elles auraient été classées en SMR 2 ou 3. Et surtout, tout est très figé. Et on ne tient pas compte du service médical rendu constaté en clinique quotidienne », indique le Pr Freyer.
Reste le cas des nouvelles thérapeutiques ciblées qui, de plus en plus, se prennent sous une forme ambulatoire, en dehors de l’hôpital. « Leur coût ne pèse pas sur l’établissement car elles sont directement prises en charge par l’Assurance-maladie. Mais il faut savoir que la prescription de ces médicaments oraux ne rapporte rien à l’établissement. Quand on prescrit une thérapeutique ciblée en ambulatoire, cela ne génère pas de T2A pour l’établissement », indique le Pr Freyer, en évoquant certains effets pervers de la tarification à l’activité. « Avec ce système, les hôpitaux peuvent avoir intérêt à tout faire pour favoriser la délivrance de médicaments dans leurs murs. Heureusement en cancérologie, tous les médicaments ne se valent pas et les indications sont très claires. Et les oncologues ne sont pas là pour faire du chiffre et gardent la liberté de prescrire une thérapie par voie orale à chaque fois que cela leur semble justifiée ».
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