Les arguments s'accumulent en faveur du dépistage organisé du cancer du poumon

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Publié le 24/02/2020
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Avec le scanner thoracique, les taux de faux positifs sont trop importants

Avec le scanner thoracique, les taux de faux positifs sont trop importants
Crédit photo : Phanie

Le cancer du poumon semble être un bon candidat au dépistage organisé (DO) : cancer très fréquent (23/100 000 personnes années), il est associé à une survie à cinq ans inférieure à 20 % et majoritairement diagnostiqué à un stade avancé. Les groupes à risque sont bien identifiés, avec une fraction de risque de cancer attribuable au tabac de l'ordre de 90 %. Les invitations pourraient se faire via l'envoi d'un questionnaire sur les expositions à risque (tabac, mais aussi amiante, radon). 

Les réunions de concertation pluridisciplinaire de cancérologie sont « remplies de dossiers de patients positifs après un dépistage "sauvage" prescrit par des médecins », rapporte le Pr Jean Trédanier, pneumologue à l'hôpital Saint-Joseph (Paris) qui mène l'expérimentation de dépistage DETECTOR au sein de la structure. 

Néanmoins, en 2016, et ce malgré l'essai phare américain (NLST), la Haute Autorité de santé (HAS) avait jugé que les conditions n'étaient pourtant pas encore réunies en France, pour la mise en place d'un DO du cancer du poumon par scanner thoracique à « faible dose ». La HAS estimait son efficacité non établie, les complications liées à l’exploration des positifs trop nombreuses, et les taux de faux positifs trop importants.

Des cancers localisés et opérables

Depuis, outre le grand essai belgo-néerlandais (NELSON), de nombreuses études pilotes ont été menées en France. C'est ainsi qu'ont été présentés, lors des journées scientifiques sur le dépistage 2020 de l'INCa, les résultats de l'expérimentation DEP KP80 (1), dans la Somme.

Au total, 1 307 sujets de 55 à 75 ans ayant fumé plus de 30 paquets-années (PA) pendant une période de plus de 15 ans ont réalisé un dépistage par tomodensitométrie à faible irradiation annuelle pendant trois ans.

Il y a eu 5,7 % de dépistages positifs (dont la moitié a été confirmée) et 17 % de dépistages indéterminés. Donnée d'efficacité importante, 76,9 % des cancers dépistés ont été traités chirurgicalement dont une grande majorité sans chimiothérapie adjuvante. « On a 70 % de cancers très localisés de stade 1 ou 2 », explique le Dr Olivier Leleu, du centre hospitalier d'Abbeville.

Si, en l'état, « 70 % des cancers du poumon ne sont pas opérables, avec un dépistage, on inverse la statistique avec 70 % de cancers opérables, toutes les études concordent sur ce point », insiste le Pr Christos Chouaid, pneumologue au centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC.)

Intégrer plusieurs dépistages

Plusieurs projets visent à amarrer le dépistage du cancer du poumon à des programmes d'arrêt du tabac, voire à des dépistages d'autres pathologies liées au tabagisme, comme c'est le cas de DETECTOR à Saint-Joseph.

Au CHIC, l'étude LUMASCAN cible deux groupes : l'un répondant aux critères NLST (plus de 55 ans, plus de 30 PA pendant plus de 15 ans) et un autre à haut risque après  exposition au radon ou à l'amiante. Selon les données des 256 premiers patients à avoir complété leur premier cycle de dépistage, l'adhérence est comprise entre 85 et 90 %, avec 1,8 % de faux positifs et une valeur prédictive des anomalies de 75 %.

Le dépistage du cancer du poumon est-il coût efficace ? « En population générale, on est très coût efficace, et on l'est encore plus dans une population hautement sélectionnée », affirme le Pr Chouaïb d'après une analyse médico-économique réalisée par son équipe (2). 

Un intérêt collectif discutable ?

Les voix ne sont pas totalement unanimes. Selon une méta-analyse réalisée à la demande de la HAS, trois des sept essais retenus seulement montrent une diminution significative de la mortalité par cancer du poumon à dix ans, et aucune ne montre une diminution significative de la mortalité toutes causes. La Dr Gaëlle Coureau, qui a coordonné l'analyse, constate « un intérêt du dépistage d'un point de vue individuel », mais questionne l'intérêt populationnel. « En sélectionnant une population très ciblée, on dépiste des sujets qui sont aussi très à risque de décéder d'une autre cause ensuite », affirme-t-elle.

Pour le Dr Franck Le Duff, du Centre régional de coordination de dépistage des cancers (CRCDC) de Corse, « la HAS ne pouvait pas s'engager sur un DO à l'échelle de la France entière, elle attend d'autres études ». En 2020, pour la première fois en France, la Corse va mener une expérience de DO à l'échelle de l'ensemble de la région, via le projet ACAPULCO. 

(1) financée par l'ARS Picardie, la Ligue contre le cancer et Astra Zeneca
(2) J Vella-Boucaud et al, Revue des maladies respiratoires, volume 33, numéro S, pA47-A48, 2016

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin