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Tumeurs neuroendocrines : l’importance du travail en réseau

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Publié le 16/04/2024
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Un récent travail sur le glucagonome (1) souligne l’importance de structurer réseaux et groupes de référence dans les tumeurs rares, afin de regrouper les données et de mettre en place des essais thérapeutiques de qualité.

La survie peut être très bonne, même à un stade métastatique

La survie peut être très bonne, même à un stade métastatique
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Avec une incidence de l’ordre de 1 pour 100 000 (1 pour 10 millions pour les glucagonomes), les tumeurs neuroendocrines (TNE) sont rares mais non exceptionnelles ; du fait de leur évolution majoritairement lente, leur prévalence n’est pas négligeable : elles pourraient se situer au deuxième rang des tumeurs digestives, après le cancer du côlon.

La moitié de ces TNE ne seraient dépistées qu’au stade métastatique, du fait de la longue progression avec conservation de l’état général, en particulier lorsque le syndrome fonctionnel est peu parlant ou absent (ce qui est le cas dans plus de la moitié de ces tumeurs).

Les tumeurs sécrétantes provoquent un syndrome clinique : le plus typique est celui des insulinomes, avec des hypoglycémies reconnues généralement assez tôt. Mais l’errance diagnostique peut être longue dans d’autres types de tumeurs, comme les tumeurs carcinoïdes, avec leurs diarrhées non spécifiques. Il est de plus en plus fréquent de porter le diagnostic fortuitement, sur des métastases hépatiques mises en évidence lors d’une imagerie abdominale.

Ces tumeurs sont dans la majorité des cas bien différenciées, aussi la survie peut être très bonne, jusqu’à vingt ans, même à un stade métastatique. « Une des questions majeures actuellement est de ne pas peser sur la qualité de vie à court et long termes, du fait de l’éventuelle toxicité des traitements comme la chimiothérapie, explique le Pr Bernard Goichot (CHU de Strasbourg). Nous élaborons actuellement des protocoles de stratégies thérapeutiques afin de gagner en années de survie, mais aussi de qualité de vie. »

Une base de données française exceptionnelle

La structuration des réseaux et des groupes « tumeurs rares » a progressé, avec le Groupe des tumeurs endocrines (GTE), créé en 2002, et le Réseau national de référence pour la prise en charge des tumeurs neuroendocrines (Renaten), devenu Endocan-Renaten, soit un sous-groupe du réseau des tumeurs endocrines et neuroendocrines – avec Endocan-Tuthyref (cancers de la thyroïde réfractaires) et Endocan-Comete (tumeurs de la surrénale).

Endocan-Renaten compte une trentaine de centres de référence en France, ce qui permet des RCP régionales, pour les cas les plus simples, et nationales dans les plus complexes. Parallèlement, le réseau transversal Tenpath donne accès à l’expertise anatomopathologique, les outils actuels permettant une double lecture grâce au transfert de lames virtuelles.

Nous pouvons désormais mener des études rétrospectives

Pr Bernard Goichot

Ces TNE sécrétantes imposent une prise en charge double, celle de la tumeur mais aussi celle du syndrome sécrétoire, potentiellement très invalidant voire vital. Le développement de centres de référence régionaux a permis d’entreprendre un certain nombre d’études, qu’elles soient académiques ou promues par l’industrie, en particulier dans les tumeurs fonctionnelles comme les glucagonomes qui, compte tenu de leur rareté, ne peuvent faire l’objet d’essais cliniques classiques. « Avec une base de données de plus de 30 000 patients, il est désormais devenu possible de mener des études rétrospectives pour mieux aborder ces pathologies exceptionnelles, souligne le spécialiste. On a ainsi pu publier l’an dernier une étude sur le vipome, tumeur des cellules non‑bêta des îlots de Langerhans sécrétant du VIP (vasoactive intestinal peptide), puis une étude sur le glucagonome à partir des données de 38 patients sur une période de trente ans. » Cette base de données telle que celle sur le glucagonome n’a pas d’équivalent dans les autres pays, « mais nous collaborons avec d’autres associations, notamment l’European Neuroendocrine Tumor Society (Enets) », ajoute-t-il.

Des essais thérapeutiques de qualité

De nombreux progrès ont été réalisés, grâce à une meilleure compréhension de l’histoire naturelle de la maladie et une connaissance plus fine des différents sous-types de tumeurs. Il est possible de mener des études thérapeutiques de qualité, « alors que les premiers essais de phase 3 dans les années 1990 comparaient diverses chimiothérapies sans la rigueur d’aujourd’hui et avec des niveaux de preuve extrêmement faibles », rappelle le Pr Goichot.

Il y a peu d’options thérapeutiques dans ces tumeurs rares, pour lesquelles les débouchés sont minces et les études spécifiques difficiles à mener, aussi évalue-t-on le plus souvent des molécules déjà étudiées dans d’autres indications. C’est ainsi qu’au cours de la dernière décennie, de bonnes études de phase 3 ont permis de comprendre l’efficacité des analogues de la somatostatine, un des traitements les plus prescrits, et de valider les indications du sunitinib (inhibiteur des tyrosines kinases) ou d’un immunosuppresseur, l’évérolimus. Dernière grande avancée, la radiothérapie interne vectorisée par lutétium (Lutathera) a fait ses preuves sur la survie sans progression. À noter qu’un effet sur la survie globale est toujours difficile à démontrer dans ces tumeurs évoluant lentement, pour lesquelles les patients reçoivent de multiples lignes thérapeutiques.

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Entretien avec le Pr Bernard Goichot (CHU de Strasbourg)

(1) Perrier M et al. Eur J Endocrinol. 2023 Dec 6;189(6):575-583

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : Le Quotidien du Médecin