Onze coureurs surentraînés, six heures de course et un bataillon de chercheurs. L'objectif de l'étude française « Penthère » est de mesurer finement la réaction de la physiologie à un effort hors norme en climat contraint. Les retombées intéressent aussi bien le militaire en mission que le néphrologue, ou encore le coureur du dimanche soumis au réchauffement climatique. Reportage à Fontainebleau.
La canicule s'installe progressivement sur la France, mais l'air matinal est encore frais au centre national des sports de la défense de Fontainebleau. « Cela ne va pas rester longtemps agréable pour nos volontaires », nous lance le médecin-chef Cyprien. Ce thermophysiologiste au sein du service de santé des armées nous accueille à l'ombre des cyprès, avant le coup d'envoi de l'étude « Penthère » sur la tolérance à la chaleur et la récupération en exercice d'ultra-endurance.
Après des mois de planification et des jours entiers de mesures et de préparation, c'est aujourd'hui le grand jour : 11 volontaires âgés de 30 à 37 ans, des coureurs rompus aux trails et courses des sables, vont s'élancer pour six heures d'effort à 13 km/h de moyenne, sous le beau soleil de juillet. Avant, pendant et après la course, leurs variables biologiques seront avidement collectées par les chercheurs de l'Institut de recherche biomédicale des armées (Irba), du service de santé des armées (SSA) et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Il y a même des ingénieurs du centre de recherche de Décathlon de Villeneuve d'Asq présents au bord de la piste, qui vont décortiquer l'évolution de la foulée, tour après tour.
Thermomètre ingérable et poche à sueur
Première donnée importante : la température interne est mesurée en temps réel par une capsule thermomètre ingérée avant le départ, puis comparée à celle de base relevée la veille par sonde rectale. Les chercheurs vont également procéder à une analyse métabolomique longitudinale de la sueur, un type de travail relativement inédit. Sans oublier, les relevés des cardiofréquencemètres et les analyses urinaires.
« En tant que médecin, je trouve cette étude fondamentale, poursuit le médecin-chef Cyprien. On se doit de couvrir l'ensemble des climats mondiaux, non seulement parce que nous exposons nos personnels militaires à ces environnements, mais aussi parce que le changement climatique va modifier les conditions météorologiques françaises ». L'armée est la seule institution qui n'a pas abandonné la recherche en thermophysiologie, l'objectif étant de comprendre comment l'être humain s'adapte aux modifications du climat.
À vos marques !
C'est parti ! Les coureurs et coureuses s'élancent par petits groupes. Toutes les heures et demie, alors que le soleil et le thermomètre montent de concert, chacun.e sort de la piste pour être pesé.e. Au passage l'équivalent d'une seringue est prélevé depuis la « poche à sueur ». Le montage est d'ailleurs artisanal : une membrane imperméable, quatre morceaux d'adhésif et un cathéter. Ce petit dispositif maison n'a pas tenu la longueur chez tous les participants.
Par la même occasion, il est demandé au coureur d’évaluer son propre rythme cardiaque sur une échelle de 1 à 10. « On veut mesurer le décalage entre la fréquence cardiaque réelle et celle ressentie », explique le médecin-chef. Une hypothèse circule selon laquelle, en état d'hyperthermie, le hiatus entre le ressenti et la réalité du rythme cardiaque, mais aussi de la fatigue, devient de plus en plus grand, jusqu'à brouiller totalement la perception du coureur. C'est un sujet encore peu étudié, et pourtant, « en ce moment, il y a chaque semaine des hypertermies malignes d'effort durant des courses et des trails », alerte-t-il.
Pour explorer plus en détail ce phénomène de dissociation, des tests de détente verticale (pour mesurer la fatigue musculaire), de stabilométrie et de locomotion compléteront les mesures. D'autres seront également réalisés au cours des jours suivants pour évaluer la cinétique de la récupération. Même l'appétence des participants pour le sucré ou le salé est questionnée : « ils perdent une grosse quantité de sel, nous aimerions savoir s'ils le perçoivent », précise le médecin des armées.
Les chercheurs de l'Irba espèrent que les données collectées permettront d'optimiser les protocoles d'entrée sur les théâtres d'opération et d'acclimatation en zones chaudes pour les militaires (textiles et leur couleur, organisation des périodes de repos, rations fournies). La recherche civile n'est pas en reste : l'équipe du CEA est présente pour expérimenter un nouveau capteur de fréquence cardiaque.
Prévenir la rhabdomyolyse
Près du circuit, des préparateurs mélangent poudres et liquides dans des gourdes posées sur des balances de précision. Chaque coureur dispose d'un plan de ravitaillement personnel strict. L'alimentation des muscles est essentielle pendant ce genre d'épreuve, faute de quoi, il se produit une rhabdomyolyse qui peut se compliquer d'insuffisance rénale avec passage en réanimation.
« C'est quelque chose qui peut survenir en opération, quand les soldats fournissent un effort prolongé dans un environnement chaud avec une déshydratation », indique le médecin-chef Cyprien. Dans ce cas-là, le signal d'alerte est une coloration brun foncée (couleur « coca-cola ») de l'urine. « Le traitement de rigueur est alors la mise sous dialyse, le temps que le rein puisse se reposer, mais ce n'est pas facile à mettre en place en plein Sahel », ajoute le médecin militaire.
Le rein sous haute tension
Midi est passé. Alors que les derniers coureurs sortent de leur deuxième pesée, deux médecins préparent une batterie d'examen pour la fin de l'épreuve : distribution de la température cutanée (caméra thermique), tests d'équilibre et de concentration,VEMS, force musculaire, analyses de sang et d'urine.
C'est là que nous croisons Axel Tardif, interne du CHU de Nancy dont la thèse portera sur la physiologie rénale des ultratrailers. À différents moments de la course et au cours des 40 heures suivantes, sont mesurées la créatinine, la cystatine C et la Ngal. Les deux premiers marqueurs donneront des informations sur l'état fonctionnel du rein et le dernier sur son état lésionnel.
« Cela a déjà été fait en ambiance froide ou tempérée, chez des amateurs ou avec des courses à vitesse réduite », explique Axel Tardif. À l'avenir, ce type de travail pourrait permettre d'identifier les sujets à risque parmi les pratiquants de la course à pied, dans un contexte de réchauffement climatique.
Plusieurs facteurs confondants sont déjà identifiés pour augmenter ou au contraire réduire l'impact d'une course sur la fonction rénale. « On sait ainsi que les courses sur sol dur sont plus traumatogènes pour le rein que celles sur sol meuble », explique l'interne nancéen. Il y a aussi la réduction de l'afflux sanguin vers le rein lié à l'effort, au moment même où cet organe doit éliminer davantage de produits de dégradation musculaire.
« Ce qui est bien avec cette étude Irba c'est qu'elle élimine tous ces facteurs confondants », se réjouit Axel Tardif tout en encourageant les coureurs. « Pas de dénivelé, des ravitaillements très fréquents et une hydratation idéale, contrairement aux habitudes des coureurs, on saura dans quelle mesure les lésions sont causées par l'ambiance chaude », détaille-t-il.