De la grotte de Lombrive aux confins de l'espace, tester les réactions de l'Homme

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Publié le 29/09/2023
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Régulièrement, des volontaires se soumettent à des batteries de tests sous des conditions extrêmes d'isolement, de température ou d'humidité. Et cela dans le but d'évaluer l'impact du climat de demain sur notre physiologie, mais aussi de préparer les astronautes aux futures longues missions spatiales.
Des tests psychocognitifs évaluent la réponse au stress climatique

Des tests psychocognitifs évaluent la réponse au stress climatique
Crédit photo : HumanAdaptationInstitute

Le 4 novembre 2011, six volontaires sortent de 520 jours passés sous terre, dans un espace de 150 m2 reproduisant un module spatial. Si certains changements physiologiques observés au cours de l’aventure étaient attendus, tels que la désynchronisation des rythmes circadiens, d'autres sont plus surprenants. Ainsi, tous les volontaires présentaient une augmentation de 14 % de l’épaisseur de l'intima artérielle (1).

« Le manque d'activité physique ou le régime alimentaire ne suffisent pas à expliquer un tel changement », s'étonne à l'époque le Dr Philippe Arbeille, directeur de l'unité de médecine et de physiologie spatiale de la faculté de médecine de Tours, qui avait participé à la publication des résultats. « Il y a donc un effet direct de l'isolement sur la santé artérielle, rapporte-t-il. On avait déjà noté une dégradation de la santé cardiovasculaire chez les patients battus ou isolés dans l'enfance. Ce qui laisse penser que l'inconfort psychologique affecterait donc la santé cardiovasculaire, même si l'on ne sait pas trop comment. »

Dix ans plus tard, le Dr Arbeille s'attendait aux mêmes constatations chez les 14 volontaires isolés dans la grotte de Lombrive dans le cadre du projet « Deep Time ». Mais après 40 jours passés sous terre, l'épaisseur artérielle des volontaires n'a pas bougé. Et pour cause « les conditions n'étaient pas du tout les mêmes, explique le Dr Arbeille. Les volontaires de Deep Time dormaient à 800 m du lieu de vie et devaient faire des activités physiques quotidiennes. Ce qui nous donne une indication précieuse : un surcroît d'activité physique contrebalance le remodelage cardiaque induit par l'isolement ».

Chaleur humide, fournaise sèche et froid polaire

Depuis cette expérience souterraine, le Human Adapation Institute à l'origine du projet a lancé plusieurs autres expéditions « Deep Climate » : en forêt Guyanaise (Deep Climate Hot and Humid), en Laponie (Deep Climate Extreme Cold) et dans le désert du Néfoud en Arabie saoudite (Deep Climate Extreme Hot and Dry). Chacune de ces trois expéditions, qui ont toutes eu lieu en 2023, a duré 40 jours, soit le temps nécessaire pour une adaptation physiologique à un nouveau milieu.

La glycémie, la saturation en oxygène, la pression artérielle et la force physique ont été mesurées par les participants eux-mêmes. Ces derniers étaient en outre régulièrement soumis à des questionnaires psychologiques et évalués sur le plan cognitif. « On ne sait pas grand-chose de l'adaptation physiologique aux variations climatiques », reconnaît le Dr Stéphane Besnard, du service d'explorations fonctionnelles neurologiques du CHU de Caen et chercheur dans l'unité Inserm Comete. Les protocoles étaient rigoureusement identiques dans les trois types de climat.

Des outils validés pour l'espace

Le Dr Arbeille met à profit les travaux en conditions extrêmes sur terre pour assurer le suivi d'astronautes. Au cours du projet Vasc Aging, sur les réactions physiologiques des occupants de la station spatiale internationale (ISS), « on s'est aperçu que les astronautes souffrent d'une anomalie du métabolisme hépatique. En outre, au bout de six mois dans l'espace, leurs artères ont vieilli de 20 ans », indique-t-il.

En croisant ses observations avec celles des rhumatologues, une hypothèse a vu le jour : il est possible que le calcium libéré par la dégradation de l'os des astronautes soit à l'origine de l'épaississement artériel. « Si l'on trouve le moyen de capter le calcium pour le réinjecter dans l'os, cela résoudrait deux problèmes d'un coup », espère le Dr Arbeille.

C'est pourquoi il collabore maintenant au projet Cipher, qui vise à établir, en sept ans de suivi, une banque de données sur la réponse physiologique de chaque organe des occupants de l'ISS.

Tous ces travaux requièrent des spécialistes bien formés. À l'université de Caen Normandie, un nouveau programme Erasmus appelé SpaceMed accueillera sa première cohorte d'étudiants en septembre 2024. Il vise à former des experts en physiologie,  médecine spatiale et autres environnements extrêmes.

(1) P. Arbeille et al, Frontiers in Physiology, avril 2023, vol 14

D. C.

Source : Le Quotidien du médecin