Chez les malades comme chez les bien portants

Comment réduire les apports sodés quotidiens

Publié le 19/05/2011
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Cela fait maintenant plus de 40 ans que les expertises collectives concluent à la nocivité des doses de sel ingérées quotidiennement par l’espèce humaine (1). Sur le plan cardio-vasculaire, l’excès de sel contribue directement et de manière dose-dépendante au risque d’hypertension artérielle, expliquant à lui seul 9 à 17 % du nombre d’hypertendus dans les populations industrialisées. L’effet est encore plus marqué si l’on considère que l’excès de sel participe à maintenir une pression artérielle élevée, et donc un risque cardio-vasculaire majoré, chez les personnes qui n’atteignent néanmoins pas le seuil de définition de l’hypertension. L’excès de sel agit aussi indépendamment de la pression artérielle en augmentant la rigidité des artères et en favorisant le développement d’une hypertrophie ventriculaire gauche et d’une protéinurie, tous ces phénotypes étant par eux-mêmes des facteurs majeurs de risque cardio-vasculaire. Par ailleurs, les effets de l’excès de sel se font sentir de manière aiguë chez les personnes en insuffisance cardiaque ou rénale qui, ne pouvant pas s’adapter physiologiquement à une surconsommation de sel et à l’augmentation volumique qui l’accompagne, sont très exposées aux œdèmes pulmonaires et hypertensions sévères. Une réduction de l’apport en sel permettrait donc d’améliorer substantiellement l’état de santé des populations. Cependant, obtenir une telle réduction est loin d’être chose facile dans un contexte où se mélangent le poids des habitudes, la démission des pouvoirs publics, un lobbying très actif et une offre alimentaire très salée qui est imposée par le secteur agroalimentaire à l’ensemble des populations, largement à leur insu et sans réelle alternative (2).

Dès la petite enfance.

L’excès de sel apparaît dès la première année de vie lorsque le jeune enfant cesse d’être allaité au sein et commence à consommer des aliments pour bébé qui sont déjà beaucoup plus salés que le lait maternel. Le phénomène s’accentue encore lorsque les parents lui donnent progressivement les aliments transformés caractéristiques de l’alimentation actuelle. Le résultat est qu’à l’âge d’un an, l’enfant ingère déjà de 2,5 à 3,5 g de sel par jour, c’est-à-dire considérablement plus que le sel fourni par le lait maternel, c’est-à-dire 0,3 g. Cette surconsommation de sel s’intensifie encore au cours de l’enfance et de l’adolescence pour atteindre les valeurs observées chez l’adulte. En France, le pourcentage d’enfants consommant plus de 6 g de sel par jour augmente ainsi de 38 % chez les 3-10 ans à 57 % chez les 15-17 ans (3). Il est important de noter que les apports moyens chez les 3-17 ans et les adultes (6,9 et 8,5 g de sel par jour, respectivement) recouvrent en fait d’énormes différences interindividuelles. Les apports habituels en sel, qui sont relativement stables pour une personne donnée, s’échelonnent de 2 à 3 g par jour, c’est-à-dire des quantités proches des besoins physiologiques de l’organisme, à plus de 20 g par jour, la grande majorité de la population consommant de 4 à 12 g par jour.

Les principales sources de sel sont les aliments transformés et les plats préparés par le secteur agroalimentaire (4). Certains aliments contribuent beaucoup plus que d’autres à l’apport journalier en sel à cause de leur teneur et des quantités consommées. Ainsi le pain, la charcuterie, le fromage et les formes dérivées (sandwich, quiche, pizza, panini) sont des sources majeures de sel chez les adultes et les enfants (voir tableau). Les plats cuisinés, soupes préparées et produits sucrés (pâtisserie, viennoiserie, glaces) sont également de grands pourvoyeurs de sel quel que soit l’âge. Les quantités de sel fournies peuvent être énormes, jusqu’à 4 ou 5 g pour une barquette cuisinée ou un sandwich. Aucun étiquetage ne prévient le consommateur de la présence de telles quantités de sel, encore moins des risques que cela peut occasionner pour sa santé. La conséquence est que la surconsommation de sel est largement inconsciente, le pourcentage d’individus déclarant faire attention à leur apport en sel étant identique chez ceux consommant 2 ou 20 g de sel par jour. En fait, l’ajout volontaire par le consommateur ne représente qu’environ 25 % de l’apport journalier en sel.

Favoriser les réalisations culinaires personnelles.

Face à cette situation, les professionnels de santé ont certainement un rôle à jouer pour essayer de sensibiliser leurs patients au danger de l’excès de sel et les aider à réduire leur consommation malgré les obstacles pour y parvenir. Plusieurs éléments peuvent être apportés à la réflexion. Essayer de situer chaque patient sur l’échelle de distribution des consommations de sel dans la population peut avoir une certaine utilité. Pour cela, un bref questionnaire alimentaire, assisté ou non par une diététicienne, peut suffire à la place de la mesure de la natriurèse de 24 heures qui reste la plus fidèle estimation de la consommation de sel. Quelle que soit la méthode retenue, le point important est de répéter cette évaluation au moins à trois reprises à quelques jours ou semaines d’intervalle pour cerner l’apport en sel habituel du patient et estimer le degré d’insistance à adopter à son égard. L’utilisation d’un tableau représentant les principales sources de sel alimentaire peut fournir des éléments concrets pour orienter le patient vers les aliments les moins pourvoyeurs, sachant que le conseil général reste d’éviter autant que possible les aliments transformés par le secteur agroalimentaire pour favoriser les réalisations culinaires personnelles à partir des aliments de base (viandes, poissons, légumes, fruits, lait, farine, œufs…) qui ont le mérite de pouvoir être contrôlées par le consommateur. Ce conseil général présente également l’intérêt de fournir une solution relativement simple pour adopter une alimentation globalement plus équilibrée évitant aussi bien les excès (sel, sucres, graisses) que les calories vides. Il faut insister sur le fait que le succès d’un professionnel de santé dans ce domaine se mesure par l’évolution de la consommation moyenne de sel dans l’ensemble de ses patients et non pas par les succès ou échecs enregistrés chez tel ou tel patient. Enfin, il est essentiel d’insister sur le fait que les efforts pour réduire l’apport en sel devraient être entrepris non seulement chez les malades à des fins thérapeutiques mais aussi et surtout chez les bien portants pour prévenir très tôt les effets délétères d’une alimentation trop salée. Comme il est mentionné plus haut, très tôt signifie dès que le jeune enfant n’est plus allaité au sein maternel, ce qui implique un effort particulier à développer vis-à-vis des femmes et futures mères.

*Chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Paris.

(1) World Health Organization. Creating an enabling environment for population-based salt reduction strategies. Report of a joint technical meeting held in July 2010. http://whqlibdoc.who.int/publications/2010/9789241500777_eng.pdf

(2) Meneton P. L’excès de sel alimentaire : toujours aucune mesure. HTA-INFO 24: 17-18, 2008. http://www.sfhta.net/IMG/pdf/HTA-INFO-24.pdf

(3) Institut de veille sanitaire. Étude nationale nutrition santé 2006, pp. 35-36. http://www.invs.sante.fr/publications/2007/nutrition_enns/RAPP_INST_ENN….

(4) Meneton P, et al. Dietary sources and correlates of sodium and potassium intakes in the French general population. Eur J Clin Nutr 2009;63(10):1169-75.

PAR LE Pr PIERRE MENETON*

Source : Bilan spécialistes