L’otite externe, pas si anodine que ça…

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Publié le 24/10/2024
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L’otite externe est un motif fréquent de consultation, en particulier l’été. Si la grande majorité cède avec un traitement local, certaines infections peuvent évoluer allant parfois, sur des terrains vulnérables, jusqu’à l’ostéite maligne à diagnostiquer rapidement.

Crédit photo : PHANIE

Le conduit auditif externe (CAE) est particulièrement exposé aux infections du fait de son anatomie, de la présence d’une flore commensale microbienne, et de l’impact éventuel de pathologies dermatologiques. Au niveau de son tiers externe, des fissures de la structure fibrocartilagineuse représentent de potentielles voies de diffusion microbienne. Au niveau des 2/3 internes, la peau est fragile et la migration des couches superficielles du tympan vers le CAE peut y provoquer une accumulation de cellules épidermiques à même de favoriser l’infection.

Une origine le plus souvent bactérienne

Les otites externes (OE) sont bactériennes dans 90 % des cas. Le signe principal est l’otalgie violente, souvent accompagnée d’une otorrhée. Les germes les plus fréquemment rencontrés sont le Pseudomonas aeruginosa et le Staphylococcus aureus, mais d’autres Gram- et Enterococcus faecalis peuvent être impliqués.

L’OE est favorisée par la macération, la chaleur et l’humidité, les embouts auriculaires, ainsi que par une dermatose préexistante. Dès les premiers signes, il faut éviter de mettre de l’eau dans l’oreille, d’irriter le conduit par des soins excessifs, suspendre le port des bouchons, des écouteurs intra-auriculaires et des prothèses auditives. Les pathologies dermatologiques comme l’eczéma doivent être traitées.

« Le traitement est local et il n’y a pas lieu de prescrire d’antibiotiques par voie générale pour les OE non compliquées, insiste le Dr Guillaume Michel (CHU de Nantes). L’utilisation des gouttes auriculaires doit être clairement expliquée ».

Avant de procéder au bain d’oreille avec les gouttes auriculaires, un nettoyage des sécrétions par un bain d’oreille de quelques minutes, par exemple avec H2O2, est préconisé. Si le CAE est obstrué, il doit être nettoyé par aspiration sous microscope ; une mèche sera placée dans le CAE si l'œdème empêche l'administration des gouttes.

 Il existe diverses préparations locales. Certaines associant un antibactérien à un anesthésique local, un anti-inflammatoire ou un décongestionnant (Aurigouttes, Otipax, Otylol) ne sont pas remboursées. Comme les diverses solutions à base de polymyxine B (Antibio Synalar, Framyxone, Panotile, Polydexa) elles sont ototoxiques et ne doivent pas être prescrites si le tympan est perforé ou que l’obstruction du CAE ne permet pas de s’assurer de son intégrité.

L’ofloxacine, la ciprofloxacine ou la rifamycine ont l’intérêt de ne pas être ototoxiques. Mais face au risque d’antibiorésistance avec les fluoroquinolones, les deux premières ne doivent être utilisées qu’en seconde intention ou en cas de perforation tympanique ; la rifamycine est inactive sur Pseudomonas Aeruginosa.

Selon la Haute Autorité de santé, l’efficacité des préparations indiquées en première intention n’a pas été démontrée. « Néanmoins compte-tenu du long recul d’utilisation, du risque d’antibiorésistance avec les fluoroquinolones, les autres gouttes auriculaires conservent un intérêt clinique faible », nuance le Dr Michel.

Le patient doit être revu en cas d’échec après 48 ou 72 heures afin d’éliminer d’autres causes d’otalgie et d’otorrhée et de surveiller un risque d’évolution vers l’OE maligne.

L’OE bactérienne maligne, correspondant à une ostéomyélite de l'os temporal classiquement liée au Pseudomonas ou au Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (Sarm) est surtout l’apanage de terrains défavorables, (immunosuppression, diabète, sujet âgé). « Elle doit être suspectée devant une infection traînante malgré un traitement médical bien conduit, un terrain à risque, la présence de Sarm ou de pseudomonas, des signes de gravité clinique, une otoscopie suspecte avec un tissu de granulation ou un os à nu d’aspect “sucre mouillé” », explique la Pr Valérie Franco-Vidal (CHU de Bordeaux). Elle impose une documentation microbiologique et une imagerie au moindre doute (TDM, IRM, PET-scan).

L’otomycose en recrudescence

Depuis quelques années on assiste à une augmentation des pathologies mycosiques, dont la prise en charge n’est pas toujours évidente vu le peu de molécules dont on dispose.

On reconnaît l’otomycose aux sécrétions blanchâtres épaisses et abondantes donnant un aspect velouté ou cotonneux, et/ou, en cas d’Aspergillus Niger, à la présence de points grisâtres, noirs ou jaunes. Le CAE doit être aspiré afin de dégager le tympan et vérifier son intégrité. On recherchera une prise d’antibiotique récente et/ou prolongée

Les soins locaux sont indispensables mais il est souvent nécessaire de revoir régulièrement les patients pour aspiration du CAE. L’Auricularum (nystatine) est le seul traitement à avoir l’AMM dans cette indication. Il est utilisé en poudrage ou en solution reconstituée qui se conserve deux semaines après ouverture. Le poudrage est intéressant en l’absence de sténose mais nécessite un nettoyage des croûtes formées par aspirations régulières. Il est moins efficace sur l’aspergillus que sur le candida. « Vu le cycle de renouvellement de la peau, le traitement devrait être au minimum de trois semaines », observe la Pr Franco-Vidal.

D’autres solutions à visée dermatologique peuvent être utilisées comme celles à base d’azoles (clotrimazole, ketoconazole, etc.) qui ont une certaine efficacité sur l’Aspergillus et le Candida, ou la fungizone. À noter que ces substances n’ont pas été testées en cas de perforation tympanique et que la fungizone est contre-indiquée.

La question se pose de savoir si l’infection initiale vient de l’OE ou de l’oreille moyenne (OM). Si le point de départ est le CAE et s’est étendu secondairement à l’OM, une tympanoplastie peut être nécessaire afin de pouvoir utiliser toute la gamme d’antifungiques locaux. Si on évoque une infection venant de l’OM, on peut discuter d’un traitement par voie générale surtout s’il s’agit d’un aspergillus résistant et demander l’avis de l’infectiologue.

Pour une OE fungique survenant sur un terrain diabétique ou immunodéprimé et généralement liée à l’aspergillus, la nécrose tissulaire est parfois massive et susceptible de toucher l’os sous-jacent et là aussi d’évoluer vers une ostéite maligne. L’imagerie est indispensable et le prélèvement guide le choix de l’antifungique de longue durée par voie générale.

Quand réaliser un prélèvement ?

Les prélèvements locaux sont indiqués essentiellement en cas de formes sévères, d’infections post-opératoires, d’échec d’un traitement local bien conduit en particulier en cas de perforation tympanique, ou si le patient est diabétique ou immunodéprimé.


Source : Le Quotidien du Médecin