Le point de vue du Dr Alain Milon*

Pour un débat santé sans dogmatisme

Publié le 10/06/2022
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Ce médecin généraliste LR, investi depuis plusieurs années à la commission des affaires sociales du Sénat, est à droite un des élus les plus ouverts sur la dépénalisation du cannabis. Il propose de s'inspirer de la législation du tabac avec interdiction aux mineurs et renforcement des dispositifs de prévention en direction des consommateurs.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

« Lorsque l’écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu’il n’y a plus à proprement parler de répression, c’est le respect des citoyens pour la loi, et donc l’autorité de l’État, qui sont mis en cause ». Simone Veil (26 novembre 1974). Si le sujet et le contexte dans lequel Simone Veil a prononcé cette phrase sont bien différents de la question qui nous préoccupe aujourd’hui, il y a malgré tout une similitude, à savoir l’inadéquation entre le texte et la réalité. Cette distorsion qui contribue à faire régner un sentiment d’impunité mettant en cause l’autorité de l’État.

Le second point de similitude réside dans la dimension de santé publique prévalente dans les deux cas.

Faut-il légaliser la culture et l’usage du cannabis récréatif ? Question simple a priori mais dont la réponse est complexe tant les enjeux sont divers. Depuis des années, la légalisation de la culture et de l’usage du cannabis a fait l’objet de débat, de propositions de lois sans que l’on soit parvenu à une solution permettant d’apaiser une situation qui, au fil des ans, ne cesse de se dégrader.

Combien de morts et de blessés liés au trafic de stupéfiants ? Combien de quartiers gangrenés par un phénomène qui se propage y compris dans des zones rurales ? Cette dégradation intervient alors même que la législation française reste l’une des plus prohibitives, et ce en dépit d’ajustements intervenus depuis des décennies pour tenter de circonscrire un phénomène aux conséquences inquiétantes tant en matière de santé publique que de sécurité publique.

En France 17 millions de personnes âgées de 11 à 64 ans ont expérimenté le cannabis ce qui fait de notre pays l’un des plus gros consommateurs en Europe. Le fait que l’usage du cannabis soit pénalisé alimente en premier lieu les réseaux de trafiquants ce qui génère, d’une part, toute une délinquance rendant la vie dans certains territoires impossible et, d’autre part, toute une économie souterraine.

L’actualité quasi quotidienne relate des faits divers mettant en cause l’insécurité générée par ces « points de deal » et témoigne de l’inefficience de notre législation en la matière, en dépit des efforts fournis par les forces de l’ordre pour juguler ces trafics. Police, Justice, Population, tous sont dans l’impossibilité de mettre un terme à ces agissements qui entraînent, a contrario, un sentiment d’impunité chez des délinquants parfois de plus en plus jeunes qui se conduisent alors en « petits caïds ».

Si la dimension sécurité publique et bafouement de l’autorité constitue un volet non négligeable de la réflexion à conduire, il est une dimension « santé publique » qui me tient particulièrement à cœur et qui nécessite un examen approfondi, sans dogmatisme mais dans l’unique préoccupation de s’interroger sur la meilleure façon de protéger la santé de nos concitoyens et notamment des plus jeunes d’entre eux.

Une approche transpartisane est nécessaire

Contrairement aux idées parfois répandues, les effets sur la santé sont loin d’être négligeables et sont d’autant plus dangereux que le consommateur est jeune. Une utilisation régulière chez les jeunes pourrait même entraîner une baisse du QI sans compter les troubles de l’attention de mémoire, de dépendance et autres effets psychoactifs.

Face à ces différents éléments, il convient de s’interroger en toute honnêteté sur la réponse légale à apporter. Personnellement, s’il devait y avoir une légalisation, je souhaite que l’on s’inspire du modèle appliqué au tabac qui permettrait de contrôler davantage la composition du produit, les réseaux de distribution.

La vente aux mineurs devra être formellement interdite, à l’instar de ce qu’a imposé la loi HPST pour l’alcool et le tabac. La formation et le renforcement des dispositifs de prévention devront être développés afin de sensibiliser et accompagner les consommateurs en toute transparence. Enfin, en parallèle, les peines prévues pour les trafiquants des drogues non légalisées devront être augmentées et appliquées strictement, de façon à faire cesser le sentiment d’impunité si dévastateur à de nombreux égards.

Partout en Europe, les législations sur le cannabis évoluent, preuve que nous sommes face à un vrai sujet de société qui nécessite une approche transpartisane dans le seul but de préserver la santé de nos concitoyens et le respect de l’autorité de l’État. Je dois avouer que, en ce qui me concerne, je réfléchis vraiment à cette question sans être parvenu, en l’état actuel, à une position définitive.

Exergue :

* Dr Alain Milon, sénateur du Vaucluse

Source : Le Quotidien du médecin