Le point de vue des Prs Céline Masson et Samuel Veissière et les Drs Nicole Athéa, Caroline Eliacheff et Sylvie Zucca

Un appel à la prudence face à une nouvelle population d’adolescents qui s’identifient trans

Publié le 10/11/2022
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Ces cinq spécialistes s'alarment de l'inflation des dysphories de genre. Et ils pointent le risque des traitements hormonaux précoces des mineurs sur leur santé psychique et physique future. À rebours d'un Duch protocole qu'ils jugent trop interventionniste et dont ils contestent la validité, ils invitent les praticiens français à s'inspirer des revirements chez nos voisins pour changer leurs pratiques.

Alors que les cas d’enfants et d’adolescents présentant un questionnement identitaire associé à une demande de « changement de sexe » augmentent de façon exponentielle en France et en Occident [2], un nombre grandissant de cliniciens, de chercheurs et d’associations médicales internationales interrogent la validité scientifique de la prise en charge prônée par le Dutch protocol ou protocole néerlandais [3] qui a été mis en place voici plus de 20 ans pour traiter les jeunes présentant une dysphorie de genre et qui reste la norme aujourd’hui. Cette approche est préconisée par l’Association mondiale des professionnels pour la santé transgenre (WPATH) au nom du droit à l’autodétermination de chacun, quel que soit son âge. En France, les consultations spécialisées « transidentité » ouvertes dans la plupart des villes ont le plus souvent appliqué jusqu’à ce jour ce protocole WPATH : diagnostic établi sur le seul « ressenti », promotion de la transition sociale, bloqueurs de puberté au stade 2 de Tanner, hormones croisées à partir de 16 ans voire mastectomie pour les filles avant la majorité avec accord parental.

Les médecins qui appliquent ce protocole, affirment une innocuité et réversibilité totale des bloqueurs de puberté, prescrits, soulignons-le, hors AMM. Des études récentes et encore en cours pointent les effets secondaires non seulement osseux, mais aussi neurocognitifs et sexuels de ces traitements. En ce qui concerne les effets des hormones croisées (notamment la testostérone pour les filles) également prescrites hors AMM à un âge jeune, elles engagent la vie entière : les effets secondaires et les risques sanitaires sont nombreux sur le moyen et le long terme. Un adulte entamant sa transition sociale et médicochirurgicale possède la maturité suffisante pour prendre cette décision; mais, est-ce le cas d’un adolescent en pleine métamorphose pubertaire ?

Pour justifier l’intervention médicale précoce, les médecins de genre arguent du risque accru de suicide chez ces jeunes. Toutefois, les études allant dans ce sens sont critiquées pour leur méthodologie. Il y a peu de preuves que la transition médicale diminue les taux de suicide, peu de preuves encore pour affirmer que les bloqueurs de la puberté sont nécessaires pour prévenir le suicide [4].

Des demandes en forte augmentation

Depuis environ 10 ans, et plus encore ces deux dernières années en France, la très forte augmentation de demandes de transition médicale en Europe concerne une autre population que celle sur laquelle a été établi le Dutch protocol, fort différente des personnes transgenres aujourd’hui adultes (nées hommes pour la plupart). Cette nouvelle population est composée de plus de 75 % de filles qui déclenchent rapidement, entre 12 et 17 ans, une « dysphorie de genre » en ayant souvent fréquenté intensément les réseaux sociaux numériques où elles trouvent des jeunes influenceurs auxquels elles s’identifient, alors qu’aucun signe antérieur ne montrait une identification au sexe opposé. 50 à 70 % de ces jeunes présentent des troubles neurodéveloppementaux et/ou psychiatriques (HPI, troubles anxio-dépressifs, TCA, dépressions…) ainsi qu’un questionnement, fréquent à l’adolescence, sur leur orientation sexuelle. Il a été montré que les jeunes porteurs de troubles psychiques qui transitionnent n’auront pas d’amélioration dans leur vie [5].

Des publications pointent les effets secondaires osseux, mais aussi neurocognitifs et sexuels des bloqueurs de puberté

Chez ces jeunes, des études récentes [6] montrent qu’une attitude bienveillante des parents sans pour autant suivre les injonctions à changer de prénom et de pronom associé à une prise en charge psychothérapeutique, amène 60 à 90 % de ces jeunes à se réconcilier avec leur sexe biologique.

En France, seule l’Académie de médecine, dans son communiqué du 25 février 2022, a émis des mesures de prudence en préconisant, entre autres, « un accompagnement psychologique aussi long que possible des enfants et adolescents exprimant un désir de transition et de leurs parents » [7] . Encore faudrait-il que les transactivistes – très actifs dans ce champ et s’appuyant abusivement sur la loi interdisant les thérapies de conversion - n’assimilent pas cet accompagnement psychologique à une thérapie de conversion.

Toujours en février 2022, le Conseil National de la Santé et du bien-être suédois a appelé à revoir les protocoles en concluant que les risques du traitement hormonal (bloqueurs de puberté et hormones croisées) prescrit pour les moins de 18 ans l'emportent actuellement sur les avantages possibles pour le groupe dans son ensemble [8]. Avant la Suède, la Finlande a modifié sa politique afin de privilégier les prises en charge psychologiques aux interventions médicales [9].

Le rapport Cass, un déclencheur

Au cœur de l’été 2022, une information capitale est sortie dans la presse anglaise : l’annonce de la fermeture programmée au printemps 2023 du plus grand service pédiatrique mondial spécialisé dans la dysphorie de genre, le Gender Identity Development Service (GIDS) au sein de la Tavistok Clinic [10]). Pour mémoire, le GIDS enregistrait, en 2010, 77 demandes, avec un sex ratio de 44 % de filles, 2 728 demandes en 2020 dont 73 % de filles et près de 5 000 demandes en 2022 [11].

Grâce à nos voisins européens, nous disposons des études pour modifier les pratiques

Cette annonce fait suite au rapport indépendant de la Dr Hilary Cass [12] - péocapproche globale et non spécialisée concernant les soins aux enfants et aux adolescents qui s’identifient trans. Elle confirme l’importance des troubles neurodéveloppementaux, psychopathologiques et des cas d’autisme chez ces jeunes. Les bloqueurs de puberté sont largement pointés du doigt face au manque d’études scientifiques et cliniques sur les effets à court, moyen et long terme, aussi bien sur le développement neurocognitif que sur le plan somatique (on peut consulter les conclusions de ce rapport dans la lettre de la Dr Cass au NHS England [13]).

Il est également préconisé de traiter ces enfants dans les services généraux de pédopsychiatrie régionaux (et non dans un seul service spécialisé) mais pas dans les conditions où cela s’est fait jusqu’à présent au GIDS [14]. Une approche « holistique » [15] est recommandée, à savoir la prise en compte de la personne dans sa globalité et non en fonction d’un seul symptôme. Dans sa conclusion, la Dr Cass souhaite que le diagnostic de dysphorie de genre soit moins rapidement posé et que les traitements soient mis en œuvre par des thérapeutes diversifiés et plus neutres. Elle estime enfin que le modèle de traitement fondé sur l'affirmation du genre n'est « pas une option sûre ou viable à long terme » car ses interventions reposent sur des preuves insuffisantes et son modèle de soins expose les jeunes à un « risque considérable » compte tenu de leur vulnérabilité psychique. Le GIDS fait actuellement l'objet d'une action en justice massive de la part de jeunes qui affirment avoir été mal diagnostiqués et trop vite incités à prendre des bloqueurs de puberté affectant leur santé.

Grâce à nos voisins européens, nous disposons de toutes les études nécessaires pour modifier sans plus tarder les pratiques afin que les enfants et les adolescents en souffrance bénéficient de soins basés sur des preuves et puissent être protégés de se voir administrer des traitements irréversibles avant leur majorité. Et, si cela ne suffisait pas, l’existence de détransitionneuses dont le nombre ne cesse de croître devrait faire réfléchir ceux qui pensent que tout « ressenti » est immuable.

 

 

[1] https://www.observatoirepetitesirene.org/
[2] https://segm.org/SEGM est un collectif de professionnels de la santé de plusieurs pays et surtout américains.
[3] Sur l’histoire du Dutch protocol, cf. https://www.tandfonline.com/doi/epub/10.1080/0092623X.2022.2121238?need…
[4] Biggs, M. (2020).”Bloqueurs de la puberté et suicidalité chez les adolescents souffrant de dysphorie de genre. Archives sexuel (49): 2227–2229.
[5]Kaltiala-Heino, R., Sumia, M., Työläjärvi, M., & Lindberg, N. (2015). Two years of gender identity service for minors: Overrepresentation of natal girls with severe problems in adolescent development. Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health, 9(1),
[6] https://segm.org/
[7] https://www.academie-medecine.fr/la-medecine-face-a-la-transidentite-de…
[8] https://segm.org/Sweden_ends_use_of_Dutch_protocol
[9]https://segm.org/Finland_deviates_from_WPATH_prioritizing_psychotherapy…
[10] https://tavistockandportman.nhs.uk/care-and-treatment/our-clinical-serv…
[11] https://segm.org/
[12] https://www.england.nhs.uk/commissioning/spec-services/npc-crg/gender-d… Et voici le résumé qu’en fait le NHS : « En février 2022, le Dr Cass a publié un rapport intermédiaire dans lequel elle expose les premiers résultats et conseils de son examen. Elle a souligné la nécessité de s'éloigner du modèle actuel de fournisseur unique et d'établir des services régionaux qui fonctionnent selon un nouveau modèle clinique qui peut mieux répondre aux besoins holistiques d'un groupe vulnérable d'enfants et d’adolescents. Elle a commencé à décrire la nécessité pour ces nouveaux services de fonctionner en tant que centres en réseau connectés à d'autres services locaux, notamment les services de santé mentale pour enfants et adolescents et les soins primaires pour répondre à tous les besoins cliniques d'un patient ». (traduction deepl). Souligné par nous.
[13]: https ://cass.independent-review.uk/publications/
[14] Contrairement au communiqué de la GIDS qui se veut rassurant : https://tavistockandportman.nhs.uk/about-us/news/stories/regional-model…
[15] « The centres should have an appropriate multi-professional workforce to enable them to manage the holistic needs of this population, as well as the ability to provide essential related services or be able to access such services through provider collaborations. »

Nicole Athéa, gynécologue-endocrinologue, Céline Masson, professeur de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Picardie Jules Verne, Samuel Veissière, professeur d’anthropologie médicale à l’Université Mc Gill de Montréal, Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, codirectrice de l'Observatoire la Petite Sirène Sylvie Zucca, psychiatre, membres du directoire de l’Observatoire la Petite Sirène[1]

Source : Le Quotidien du médecin