Cinq mois après le drame de Rennes

La France change sa loi sur les essais cliniques

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Publié le 30/06/2016
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Essais cliniques

Essais cliniques
Crédit photo : PHANIE

La réglementation autour des essais cliniques devait être renforcée. Marisol Touraine s'y était engagée fin mai, invoquant « la nécessité de faire évoluer le cadre législatif en vigueur » à l'issue de l'enquête menée par l'Inspection générale des affaires sanitaires (IGAS) sur l’essai thérapeutique qui avait conduit à la mort d'un patient à Rennes. C'est aujourd'hui chose faite.

L'ordonnance n° 2016-800 « relative aux recherches impliquant la personne humaine », publiée le 16 juin 2016 au « Journal Officiel », concrétise les annonces de la ministre de la Santé et finalise des semaines d'auditions et de débats au sein de la commission des Affaires sociales du Sénat.

Le texte modifie et permet l'application de la « loi Jardé » promulguée en 2012 qui n'était pas encore entrée en vigueur. Celle-ci, reprenant pour l'essentiel la loi Huriet de 1988, avait inspiré le règlement européen encadrant les essais cliniques de médicaments d'avril 2014 mais qui ne sera appliqué qu'en 2018. Afin d'éviter un vide juridique, la nouvelle ordonnance intègre la réglementation européenne dans la loi française et rend possible son entrée en vigueur sur le territoire.

Le consentement des volontaires mieux pris en compte

Est modifié en premier lieu, le code de la santé publique relatif à l'information et au consentement des personnes se prêtant à un essai clinique, afin d'intégrer deux dispositions du droit européen. Soit : « la possibilité pour le chercheur d'utiliser les données déjà obtenues lorsqu'une personne utilise son droit de rétraction de la recherche » et « la possibilité pour une personne qui a accepté que ses données soient utilisées lors de recherches ultérieures exclusivement à des fins scientifiques de retirer ce consentement et d'exercer sa faculté d'opposition à tout moment ».

Le rôle des CPP redessiné

L'ordonnance redéfinit, par ailleurs, le cadre et le champ d'intervention des comités de protection des personnes (CPP). Ces structures composées pour moitié de représentants de la société civile (associations de patients, juristes, travailleurs sociaux…) et de professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, psychologues) ont pour mission l'évaluation de tous les éléments assurant la protection des participants. Avec l'affaire de Rennes s'est posée avec acuité la question pour certains de leurs membres de possibles conflits d'intérêts. La loi française a donc revu sa copie pour limiter les risques. Les comités de protection des personnes seront désormais désignés de façon aléatoire (et non pas choisis par les promoteurs de l'essai) et appelés à intervenir sur l'ensemble du territoire, et non pas attachés à une région comme cela était.

Éviter la confusion des rôles

Le texte revient du reste sur le rôle qui leur était imparti. Ces entités étaient appelées à se prononcer sur la pertinence de la recherche et la validité de la méthodologie des études. Ce ne sera plus le cas. « L'évaluation de la partie scientifique et technique sera réalisée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), tandis que l'évaluation éthique sera effectuée par les comités de protection des personnes », a tranché l'ordonnance. Le Pr Claude Huriet, auteur de la première loi accueille favorablement cette initiative qui « évite une confusion des rôles » estimant que, s'agissant de la première partie de la mission, « les CPP n'ont pas forcément les compétences adaptées, alors que l'ANSM dispose, elle, des moyens techniques de cette expertise pour une plus juste évaluation des risques encourus par les volontaires et de l'intérêt de l'éssai. » Les CPP, ayant à l'inverse, selon lui, une vraie légitimité à se prononcer sur l'évaluation éthique.

La validité d'une seule autorisation au niveau européen

Le Pr François Lemaire, co-auteur de la loi Jardé, pointe quant à lui le pas franchi par la nouvelle législation européenne, et sa transposition dans la loi française, vers une simplification des procédures administratives appelée depuis longtemps par les industriels. Dorénavant, le dossier de soumission d'une étude clinique, validé par un seul État membre induira une autorisation dans toute l'Union Européenne. « Autant de temps gagné pour les laboratoires qui n'auront plus à produire plusieurs dossiers de soumission pour une même étude comme pour les instances en charge de valider ces dossiers », souligne-t-il. Le Pr Huriet salue également « cette décision rationnelle d'homogénéisation des autorisations à l'échelle du marché européen dans le contexte d'une concurrence internationale acharnée. »

La réponse à un fort besoin de transparence

Le dernier point d'importance répond à une forte exigence de transparence des données relatives aux études cliniques des citoyens et d'un certain nombre de chercheurs. Notre enquête réalisée début mars auprès des lecteurs du « Quotidien » le confirme : 84 % d'entre eux attendent plus de transparence concernant ces essais. Le réglement européen pousse à la transparence - open acess des informations relatives aux essais précliniques et de phase 1. Cette exigence doit se concrétiser en 2018 par l'accès à une base de données relatives à tous les essais cliniques de médicament menés sur le territoire de l'Union européenne. Reste toutefois en suspens la question du secret industriel. « L'exigence de transparence est légitime mais attention à ne pas ralentir des progrès attendus à trop vouloir rassurer l'opinion », met en garde le Pr Huriet.

 

 

Betty  Mamane

Source : Le Quotidien du médecin: 9509