Soins psychiatriques sans consentement

La loi à l’épreuve du terrain

Publié le 05/09/2011
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Crédit photo : S. TOUBON/LE QUOTIDIEN

Dictée par une décision du Conseil Constitutionnel, l’entrée en vigueur le 1er août de la loi du 5 juillet 2011 sur les soins psychiatriques sans consentement a sans surprise compliqué sa mise en œuvre dans les hôpitaux et les tribunaux. « Du 1er au 15 août, c’était vraiment une sale période pour lancer une telle procédure », commente le Pr Michel Reynaud, chef du service psychiatrie et addictologie à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif). « D’autant plus qu’il a fallu s’adapter avec des informations qui arrivaient tous les jours en masse, parfois contradictoires émanant de la justice, de l’administration, du ministère ou des syndicats », ajoute-t-il. Certaines interrogations soulevées par la mise en application de la nouvelle législation ont nécessité et nécessitent encore des arbitrages entre les ministères de la Santé, de la Justice ou de l’Intérieur. Une foire aux questions téléchargeable à l’adresse www.loipsy2011.sante.gouv.fr est régulièrement mise à jour pour permettre aux professionnels d’y voir (un peu) plus clair.

Difficultés pratiques.

Sur le terrain, la mesure la plus délicate à mettre en œuvre reste sans nul doute le contrôle judiciaire obligatoire dès la fin des 15 premiers jours de prise en charge pour les soins sans consentement dispensés en hospitalisation complète. Dans les textes, les audiences de malades par les juges sont envisageables par trois biais : au tribunal, à l’hôpital dans une salle spécialement aménagée ou par visioconférence. En pratique, depuis l’entrée en vigueur de la loi, ce sont le plus souvent les hôpitaux qui se chargent d’amener les malades aux tribunaux. « Actuellement, nous utilisons le transport par ambulance avec accompagnement infirmier. Cela mobilise beaucoup de monde et beaucoup de temps, environ 2 heures par vacation au tribunal. On essaye dans la mesure du possible de regrouper les patients », témoigne le Dr Jean-Claude Samuelian, chef du Pôle Psychiatrie Centre, à l’hôpital de la Conception (Marseille).

« La modalité de judiciarisation me va tout à fait, mais ici ce n’est pas la justice au service du malade mais le malade au service de la justice », considère le Pr Jean-Pierre Olié, responsable du service hospitalo-universitaire de santé mentale et thérapeutique au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris). « Dans mon service, ce sont uniquement les malades qui doivent se déplacer. Pour assurer ces audiences, tout le monde fait le grand écart », confie-t-il. « Pour le moment, nous sommes confrontés à des impossibilités pratiques réelles », alerte de son côté le Pr Reynaud. Dans son service, tout se fait sur dossier, il n’y a pas d’audience devant le juge. « Nous n’avons pas le choix, car les patients ne sont pas déplaçables et les juges ne veulent pas se déplacer et refusent la visioconférence. Il faut bien trouver une solution », explique-t-il.

Trop de certificats.

Autre mesure pointée du doigt par les professionnels, les nombreux certificats médicaux obligatoires durant la période d’observation de 72 heures maximales en hospitalisation complète après le lancement d’une procédure de soins sans consentement (à la demande d’un tiers, en cas de péril imminent ou sur ordre du préfet). Outre le ou les certificats à l’admission, d’autres certificats doivent également être établis dans les 24 et 72 heures. Après le cinquième jour et avant le huitième jour de prise en charge, un certificat médical supplémentaire peut être réalisé pour confirmer ou infirmer la nécessité de soins sans consentement. « Il y a beaucoup trop de certificats, ce qui entraîne trop de lourdeur dans la procédure », estime le Dr Jean-Claude Samuelian. « Quand il s’agit d’un patient connu, l’examen médical est assez rapide. Dans le cas contraire, cela prend entre 30 et 45 minutes ».

Pour le Pr Olié, la multiplication des certificats médicaux générée par la loi du 5 juillet 2011 constitue un « point inacceptable ». « Ce qui me heurte, c’est la condition à laquelle on soumet une personne qui souffre de troubles mentaux à des examens qui nécessairement vont constituer des expériences pénibles, douloureuses qu’il va falloir reconduire successivement au moins à quatre reprises en l’espace de 15 jours », déclare-t-il.

En outre, les avis de psychiatres ne participant pas à la prise en charge, requis notamment dans le cadre des collèges de soignants pour les patients dits difficiles (UMD et irresponsabilité pénale) n’iront pas sans causer quelques tracas supplémentaires au quotidien. « Se rendre dans le service voisin pour signer des certificats ou faire des appréciations, cela prend un certain temps durant lequel on ne s’occupe pas des patients de nos propres services », fait remarquer le Dr Alain Vaissermann, chef de pôle au groupe hospitalier Paul Guiraud (Villejuif) et président du Comité d’action syndicale de la psychiatrie (CASP).

 DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 8998