Le réchauffement climatique est « la plus grande menace pour la santé du monde », selon les experts du « Lancet Countdown »

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Publié le 21/10/2021

Crédit photo : AFP

Les années se suivent, ainsi que les alertes sur le climat, sans que rien ne se fasse. Pourtant l'inaction risque de coûter cher en termes de santé publique. Pour la première fois cette année, le 6e rapport du « Lancet Countdown » (dont la première itération date de 2015) fournit des chiffres, aussi précis qu'alarmants, sur les conséquences concrètes du réchauffement climatique sur la santé des populations.

Les auteurs, qui se sont penchés sur l'évolution récente de 44 indicateurs de santé, concluent qu'un climat dépassant les 1,5 °C de réchauffement induira une exacerbation des inégalités de santé. Les populations les plus pauvres souffriront le plus des difficultés d'accès à l'eau, à la nourriture, des vagues de chaleur plus intenses et plus nombreuses.

La canicule, premier effet observable

Le « Lancet Countdown » détaille les effets déjà observables de la crise climatique : en 2020 les enfants de moins de 1 an ont été exposés à 626 millions de journées de canicule en plus que la moyenne observée entre 1986 et 2005 et les adultes de plus de 65 ans ont été exposés à 3,1 millions de journées de canicule supplémentaires.

En 2020, 19 % de la surface du globe ont été confrontés à un épisode de sécheresse extrême (caractérisé par des pertes de culture, de bétail et un impact significatif sur la disponibilité en eau), alors que ce chiffre ne dépassait pas 13 % entre 1950 et 1999. Les cinq années contenant le plus de jours de sécheresse se situent toutes entre 2015 et 2021.

La corne de l'Afrique a été, en 2020, la région la plus touchée par la sécheresse et l'insécurité alimentaire qui a touché, en 2019, 2 milliards d'humains. Un chiffre qui ne peut que croître à mesure que l'élévation des températures réduit les périodes de maturité des plantes. Entre 1981 et 2010, la productivité du maïs a diminué de 6 %, celle du blé de 3 % et celle du riz de 1,8 %.

Dans 70 % des 136 pays disposant d'une limite côtière, la température des eaux de surface a augmenté, ce qui met en danger l'apport en protéines des 3,3 milliards d'habitants qui dépendent de la nourriture marine.

Pandémonium d'eau et de feu

Les auteurs ont aussi dressé un bilan des risques environnementaux liés aux incendies - les populations de 134 pays ont été exposées à une augmentation des feux de forêt - et des inondations. On estime que 569,6 millions de personnes dans le monde vivent sur des terrains à moins de 5 mètres au-dessus du niveau de la mer et vont connaître des épisodes de submersion, des tempêtes plus intenses et des phénomènes de salinisation de l'eau potable ou utilisée dans l'agriculture.

Le réchauffement climatique pourrait effacer des décennies de progrès contre les maladies infectieuses. La période de l'année propice à la transmission du paludisme a augmenté de 39 % depuis les années 1950. De plus, le potentiel de transmission de la dengue par l'Aedes aegypti a augmenté de 13 % sur la même période, et de 7 % pour l'Aedes albopictus. « La dengue est la maladie infectieuse dont la propagation a le plus augmenté ces dernières années », s'inquiète Marina Romanello, directrice de recherche au « Lancet Countdown » et première autrice du rapport.

Les régions côtières du nord de l'Europe et des États-Unis sont, pour leur part, en train de connaître une plus grande circulation de bactéries du genre Vibrio à l'origine de gastroentérites, de sepsis et de plaies infectées. La superficie des régions côtières dont les conditions climatiques sont désormais compatibles avec la circulation de telles bactéries a augmenté de 35 % dans la mer Baltique et de 25 % dans le nord-est de l'océan Atlantique.

Stupeur et écoanxiété

Le Pr Anthony Costello, codirecteur du comité du « Lancet Countdown », s'inquiète aussi de la montée des troubles psychiatriques. « Les effets du réchauffement climatique sur la santé mentale sont très répandus, à commencer par l'écoanxiété chez les jeunes, prévient-il. Il y a aussi les traumatismes causés par la perte du domicile lors d'événements extrêmes, les déplacements de population, sans oublier les troubles neurologiques des personnes âgées affectées par les vagues de chaleur. »

Ce constat est d'autant pus alarmant que seulement 49 % (45 pays sur 91) des pays ont mis en place un pan d'adaptation de leur système de santé à la nouvelle donne climatique. Seulement 8 des 45 pays ayant adopté un tel plan lui ont alloué des ressources humaines et financières. « Il faut appliquer le règlement sanitaire international, résume Marina Romanello. Ce dernier comprend un volet sur la limitation de la pollution en ville, une mesure qui aurait des effets sanitaires immédiats dans la mesure où 3,3 millions de morts évitables étaient, en 2019, attribuables à la combustion d'énergie fossile, principalement dans les pays développés. »

Les auteurs implorent les décideurs politiques de s'appuyer sur les plans de relance post-Covid pour décarboner l'économie. Mais le chemin est encore long, le prix d'une tonne de carbone est négatif dans 65 des 84 pays passés en revue par les auteurs (responsables de 92 % des émissions de gaz à effet de serre). Un prix négatif signifie qu'une entreprise gagne de l'argent pour chaque tonne de gaz à effet de serre émis , par exemple sous forme de subvention aux énergies fossiles. À l'inverse, une tonne de carbone a un prix positif si une entreprise doit débourser de l'argent pour avoir le droit d'émettre une tonne d'équivalent CO2. 

Peu d'espoir

La COP26, qui va commencer le 31 octobre à Glasgow, est perçue comme « la dernière et la meilleure opportunité pour retracer un chemin vers zéro émission de gaz à effet de serre en 2050, estime le Pr Costello. Il faudrait investir 100 milliards de dollars par an (86 milliards d'euros) pour financer la lutte contre le réchauffement climatique et consacrer bien plus que les 0,3 % actuellement consenti à l'adaptation des systèmes de santé », poursuit-il.

Le Pr Costello ne se fait toutefois pas trop d'illusions sur la bonne volonté des gouvernants qui vont se réunir à Glasgow. « Les impacts sur la santé sont souvent négligés par les décideurs, regrette-t-il. Au début de l'épidémie le directeur de l'OMS a demandé la constitution d'un fonds de 675 millions de dollars, une somme négligeable, pour investir dans la réponse des pays du Sud à la pandémie… Il n'a reçu que 1,5 million de la part de l'Irlande. Tout cela est une vaste blague ! »


Source : lequotidiendumedecin.fr