La PrEP entre dans son rythme de croisière

Les centres de santé sexuelle entrent dans la danse

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Publié le 13/06/2016
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Crédit photo : PHANIE

Depuis l'ouverture de sa consultation prophylaxie pré-exposition (PrEP), le 1er décembre 2015, l'hôpital Tenon (AP-HP) a atteint son rythme de croisière avec un peu plus de 30 à 40 mises sous PrEP chaque mois pour une file active de 158 patients. Avec la consultation ouverte par le Pr Jean Michel Molina à l'hôpital Saint Louis, Tenon représente les deux tiers de la patientèle mise sous PrEP en France. Un rythme qui devient problématique.

« Nous avons doublé les plages horaires, explique le Pr Gilles Pialoux, malgré cela il y a un mois d'attente pour avoir un rendez-vous, ce qui est problématique vu le niveau de risque. On a une incidence sur paris de 9 % par an chez les HSH. Cela peut se jouer à un ou deux mois près. »

Le Pr Pialoux s'attend à ce que l'offre se « démultiplie » grâce aux consultations prévues à Paris et surtout aux nouveaux centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD). Comme l'a rappelé la ministre de la Santé Marisol Touraine lors de son discours prononcé à New York lors de la réunion de haut niveau de l'assemblée générale des Nations Unis, le décret autorisant la dispensation de PrEP dans CeGIDD a été publié au Journal Officiel vendredi 10 juin.

« C'est une activité chronophage pour laquelle nous n'avons eu aucun moyen supplémentaire en dehors d'un associatif fourni par AIDES, précise le Pr Pialoux. On fait une consultation, un dépistage des IST, une rencontre avec le conseiller de AIDES, un questionnaire sur les drogues… Il faut une heure à une heure et demie par rendez-vous. Nous ne sommes pas des distributeurs de Truvada », explique-t-il.

Le constat du Pr Molina n'est guère différent : « Nous essayons de nous adapter à la demande pour que nos délais restent inférieurs à un mois. C'est une grosse pression pour l'équipe mais nous sommes des passionnés : il est urgent de faire monter en charge le dispositif. » Le Pr Molina salut également l'arrivée des CeGIDD. « Il va falloir que l'on envisage à un moment ou à un autre que d'autres acteurs puissent être impliqués dans le renouvellement des prescritpions, je pense notamment aux médecins de ville. »

Les HSH trustent les consultations

Le taux d'IST dans la file active de tenon est encore plus fort que celui observé au cours de l'essai Ipergay : 70 % d'antécédents d'IST dans les deux ans et 64 % de consommation de drogues dans les 3 derniers mois dont uns surreprésentation de cocaïne, d'ecstasy et de poppers.

Il aura fallu attendre 6 mois avant que la consultation de (PrEP) ouverte par le Pr Gilles Pialoux dans le service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon ne voit arriver sa première femme cette semaine. « Notre file active est exclusivement composée d'hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH), note-t-il. Nous sommes complètement passés à côté des autres cibles : les couples sérodiscordants, les multipartenaires, les consommateurs de drogues même si d'autres conslutations comme celle de l'hôpital Avicenne s'y attellent ».

Il y aura des échecs

Le Pr Pialoux signale cependant un cas de personnes infectées après avoir commencé une PrEP : « Nous devons encore documenter ce cas, et notamment savoir si le patient a été observant ou non. De toute façon, nous savons qu'il y aura des échecs ».

Lors de la dernière conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes, la nouvelle de l'infection d'un homme de 43 ans avait fait grand bruit. Inclus depuis 24 mois dans un programme de PrEP à Toronto, le patient était pourtant observant, comme l'ont confirmé les taux de ténofovir retrouvés dans son sang. « Le virus qui l'a infecté est résistant au Truvada, à la delavirdine et, ce qui est très rare, partiellement résistant aux inhibiteurs de l'intégrase, explique le Pr Gilles Pialoux, la fréquence de ce genre de virus multirésistant est inférieure à 1 % et c'est sa résistance qui explique qu'il ait échappé à la PrEP. »

Plus de 5 ans entre l'infection et le dépistage

La France comptait en 2012 150 000 malades infectés en France, soit 70 % de plus qu'en 2000, dont 70 % d'homme, un tiers de HSH et 20 % d'hétérosexuels étrangers. On compte 4 300 à 6 700 nouvelles infections par an et 1 300 à 1 700 morts. « Si cette tendance se poursuit, on devrait avoir 200 000 malades en 2020 », explique Virginie Supervie, de l'UMRS 1136 « surveillance et modélisation des maladies transmissibles » de l'Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique qui a présenté ces chiffres lors de la journée du TRT5. Le pays est en bonne voie pour atteindre les objectifs 90 90 90 de l'ONUSIDA, puisque 81 % des personnes infectées sont diagnostiquées, 86 % des malades diagnostiqués sont sous traitement, et 80 % des patients sous traitement ont une charge virale indétectable.

La principale faille dans la stratégie nationale de lutte contre l'épidémie se situe dans le délai médian entre l'infection et ma mise sous traitement : Il est de 5,4 ans pour l'ensemble des malades, 4,8 ans pour les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, 6 ans pour les hétérosexuels étrangers et 8,5 ans pour les consommateurs de drogues injectables. Ces durées sont principalement tirées par le temps écoulé entre l'infection et le diagnostic.

Selon une évaluation menée par le département de la santé de San Francisco (SF DPH) la combinaison de la PrEP et la mise sous antirétroviraux dès le diagnostic (deux approches qui ont intégré les recommandations de l'OMS en septembre 2015) permettent une protection de 96 %.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9504