VIES DE MEDECIN

Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost

Publié le 30/03/2015
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Crédit photo : AFP

« Les Japonais ont réinventé la manière de construire des voitures. C’est ce que nous faisons avec les soins de santé. »* La modestie n’étouffe pas le Dr Devi Shetty, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais il faut bien reconnaître que ce médecin indien a quelques raisons d’être satisfait. Il a réussi à rendre la chirurgie cardiaque accessible pour des milliers de patients qui seraient tout simplement morts sans lui, faute de pouvoir régler les frais entraînés par une opération. Il est aujourd’hui à la tête de Narayana Health, un groupe hospitalier indien qui fournit des soins et sauve des vies à des prix défiant toute concurrence…

Des prix divisés par 2

Narayana Health, c’est 17 hôpitaux, 6 000 lits, 80 000 consultations par mois, 120 opérations par jour, et des prix environ inférieurs de moitié aux standards indiens. C’est aussi l’ambition de quadrupler l’activité et de diviser les prix par deux dans les cinq ans à venir. Dans l’émission « Hard Talk » de la BBC, le Dr Shetty expliquait en décembre 2011 comment il en est arrivé là : « Quand j’ai commencé ma carrière à Calcutta, je voyais environ 60 à 100 patients par jour. Mais au final, aucun d’entre eux ne venait se faire opérer car ils ne pouvaient pas se le permettre. »

Confrontée au même problème, une organisation caritative se serait épuisée à lever des fonds pour financer les soins des plus démunis. Le Dr Shetty n’a rien contre la charité : il a été le médecin personnel de Mère Teresa et la cite régulièrement comme l’une de ses sources d’inspiration. Mais il a décidé de prendre le problème dans l’autre sens. En 2001, il a fondé son propre hôpital cardiaque, un établissement privé à but lucratif auquel il a assigné un objectif simple : tailler dans les coûts.

« Le Henry Ford de la chirurgie cardiaque »

Pour rendre les traitements accessibles, il a fallu actionner tous les leviers. Du fil chirurgical aux échographes, le Dr Shetty a épluché chaque facture : tout centime économisé permet de faire baisser d’autant le prix payé par les patients. « Si une solution n’est pas abordable, ce n’est pas une solution », tel est son credo. Il est allé jusqu’à convaincre des entrepreneurs locaux de commencer la production de certains dispositifs médicaux qu’il trouvait trop chers à l’étranger.

Mais agir sur les approvisionnements ne suffisait pas. Pour atteindre son but, le Dr Shetty devait aussi modifier l’organisation hospitalière. Les établissements de Narayana Health utilisent les grands volumes d’activité générés par l’immense population indienne pour accentuer la division des tâches : chaque médecin est spécialisé dans deux ou trois types d’interventions, pas plus. Cette standardisation, qui rapproche la salle d’opération de la chaîne de montage, a valu au Dr Shetty d’être surnommé en 2009 par le « Wall Street Journal » « le Henry Ford de la chirurgie cardiaque ».

Les critiques ne manquent contre le chirurgien. Ses prix sont tellement peu élevés qu’ils sont soupçonnés de cacher des défauts de qualité. Il est vrai que la chasse aux coûts n’est pas sans conséquences pour les patients : sous le climat torride de l’Inde, il y a fort à parier que certains d’entre eux aimeraient que les salles d’opérations ne soient pas les seules pièces climatisées, par exemple. C’est pourtant le cas dans l’un des derniers hôpitaux ouverts part Narayana Health : il est situé dans la ville de Mysore, dans l’État du Karanataka, et ses bâtiments sont en préfabriqué.

Le Dr Shetty jure ses grands dieux que la sécurité des patients n’est jamais sacrifiée, et ses pairs semblent lui donner raison. Quand Jack Lewin, alors président de l’American College of Cardiology, a visité en 2009 l’un des hôpitaux fondés par le « Ford de la chirurgie », il a estimé que les standards de qualité y étaient similaires à ceux que l’on trouve aux États-Unis.

Micro-assurance et îles Caïman

Agir sur le prix des soins n’est pas suffisant pour le Dr Shetty : malgré tous ses efforts, la chirurgie cardiaque reste trop chère pour certains de ses patients. Ses hôpitaux sont donc impliqués dans le mouvement de micro-assurance de santé à destination des plus démunis, très actif en Inde. À l’inverse, les hôpitaux de Narayana Health font payer davantage les patients les plus aisés. Ces derniers sont recrutés activement via la publicité.

Avec le Dr Shetty, le business et la santé publique font bon ménage : en 2014, il a ouvert un hôpital… aux îles Caïman ! Espérant bien que cet établissement situé à quelques encablures des côtes de Floride attirerait les patients américains, dont le système de santé est le plus cher du monde.

* Cité par le « Wall Street Journal » (25 novembre 2009)
Adrien Renaud

Source : Le Quotidien du Médecin: 9399
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