« Je suis arrivé à la recherche par la clinique et je n’ai jamais cessé ces allers-retours, un peu dans l’idéal de Canguilhem » explique Bernard Bioulac. Un idéal que ce médecin et chercheur de 76 ans a su appliquer à ses différentes vies, multipliant les allers-retours entre corps et esprit, lit du patient et thérapies de pointe, politique et idéal, comédien et metteur en scène.
Tout commence à Conflans-Sainte-Honorine, en 1941. Bernard Bioulac, futur militant PSU, naît dans le futur fief de Michel Rocard. Son père, cadre d’une entreprise de télécommunications, refuse de travailler pour l’Allemagne, devient commercial dans l’Yonne où il entre en Résistance. Plus tard, la famille rejoint Saint-Barthélémy-de-Bussière, la commune de naissance de sa mère, au nord de la Dordogne. Bernard Bioulac fait ses études secondaires chez les Jésuites à Sarlat où il décroche un Bac littéraire latin-grec, avant de choisir Médecine : « Très attaché au monde rural, je voulais être médecin de campagne » explique-t-il. Mais sa vocation ne tiendra pas devant la découverte du système nerveux « fondement de la cognition, du comportement, de la motivation, des émotions. ». Une véritable fascination. Neurochirurgien et chef de clinique, il perçoit ensuite les limites de sa discipline, sans une meilleure compréhension des mécanismes cérébraux et neuronaux. Deux post-docs, au Collège de France et à Montréal, l’amèneront sur le terrain de la recherche. Sa rencontre avec Jean-Didier Vincent fera le reste.
Chercheur en neurophysiologie et neurobiologie, il travaille sur les mécanismes associés au mouvement sur un modèle de primates, découvre les effets spectaculaires de la stimulation cérébrale profonde à haute-fréquence sur la maladie de Parkinson. Découverte dont l’université bordelaise ne perçoit pas la portée. Nul n’est prophète… Les premiers essais sur l’homme seront réalisés à Grenoble par le Pr Benamid avec le succès que l’on sait. Bernard Bioulac poursuit ses recherches qui permettront d’autres avancées, en particulier, dans le traitement des TOC.
Le poison de la Politique
Mais voilà que le scientifique se laisse peu à peu happer par la politique. Ce fils de gaullistes de gauche, milite au PSU, puis au PS. Élu conseiller général de Dordogne en 1979, il devient en 1982, Président du Conseil Général, puis député.
Bernard Bioulac réduit alors ses activités hospitalières et sa production de chercheur. « Il ne faut pas le faire, regrette-t-il aujourd’hui. Même si la politique m’a permis de vivre des moments exaltants comme la mise en place la décentralisation, la recherche de PME pour impulser le développement économique de la Dordogne, l’autoroute A89, Lascaux 2… »
Grisé par une vie à cent à l’heure, les ambitions et les combats politiques, Bernard Bioulac ne voit pas arriver sa chute. Il tombe en 1994 pour une affaire de financement illicite d’un journal. « Je n’ai pas été assez vigilant » avoue-t-il. Une erreur qu’il paie cash : prison avec sursis et inéligibilité. Il quitte alors définitivement la politique, mais vit des heures dramatiques. Pour cet homme épris de justice, cette condamnation est « terrible ! » A tel point, qu’il tentera de mettre fin à ses jours : « J’étais acculé, j’avais peur de perdre mon métier… ».
Un retour inoubliable
Mais l’Université ne lui ferme pas ses portes. Bien au contraire, elle lui prépare un accueil inoubliable : « Je venais de sortir de l’hôpital, explique Bernard Bioulac, je revenais à la Fac pour donner mon premier cours aux premières années de Médecine. Quand je suis entré dans l’amphi, tout le monde s’est levé et m’a applaudi, c’était un moment très émouvant ».
Bernard Bioulac reprend sa tâche : « j’avais peur d’être dépassé. En dix ans, la science avait explosé, mais après un passage à vide, je me suis remis en selle ». Parmi les fondateurs du Neurocampus bordelais, il contribuera largement au rayonnement de la recherche bordelaise et saura accompagner ses successeurs médecins et chercheurs.
Aujourd’hui Professeur émérite, membre de l’Académie de Médecine, il demeure attentif aux évolutions de la science, s’investit dans le débat éthique, lui qui fut le rapporteur de la première loi bio éthique en 1992. Il continue de se passionner pour les travaux sur le cortex préfrontal, les interfaces cerveau-machines, et se dit persuadé que « le traitement des maladies mentales sera la grande affaire de ce siècle ».
La passion du Théâtre
Mais derrière le scientifique, se cache un homme profondément épris de culture, diplômé de Russe et d’Arabe, passionné d’histoire contemporaine et de théâtre. Toute sa vie, il a joué ou mis en scène Ionesco, Beckett, Tchekhov ou Labiche. Il cite aussi volontiers le « Mythe de Sisyphe » de Camus et le « Candide » de Voltaire. « Il ne faut voir là aucun pessimisme, souligne-t-il. Je ne le suis pas. Je ne l’ai été qu’une seule fois dans ma vie… ».
Mais la Médecine n’est jamais loin*. Et après 50 ans de carrière, Bernard Bioulac en retient « les formidables évolutions techniques (neuro imagerie, oncologie personnalisée…), la grande qualité de nos CHU mettant les techniques les plus pointues à la portée de tous, mais aussi la difficulté grandissante de l’accès aux soins et le danger d’une médecine à deux vitesses. Quand certains traitements coûtent 400 000 euros, comment les fournir à tous ? Ou sur quelles bases les refuser à un patient ? » Quant à la recherche, il avoue sa déception du quinquennat Hollande et rappelle : « Pour Mitterrand, la recherche était l’enfant chérie de la République. »
* son épouse est anatomo-pathologiste, sa fille pédopsychiatre
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