Courrier des lecteurs

Premier procès en pédocriminalité de Joël Le Scouarnec : quelles co-responsabilités ?

Publié le 04/12/2020
Cette « affaire Joël Le Scouarnec », particulièrement ignoble, est d’une ampleur exceptionnelle. Elle nous fait basculer dans un chapitre inédit des annales judiciaires. La première étape procédurale a eu lieu à Saintes en Cour d’Assises fin novembre. Elle concerne quatre personnes mineures victimes d’agression sexuelle de ce chirurgien prédateur. Un deuxième procès, actuellement instruit par le Procureur de Lorient, se tiendra dans les années qui viennent. Il portera lui aussi sur des faits partiellement avoués et rapportés dans des « carnets noirs ». 312 personnes victimes sont enregistrées, dont 265 ont moins de 15 ans, pour des agressions sexuelles ou viols survenus entre 1986 et 2014.

Cette histoire ignoble nous fait ressentir une succession d’émotions : sidération, incrédulité, nausée, révolte, colère. Notre préoccupation première est que notre justice républicaine précise ces faits, les caractérise, les pénalise et sanctionne leur auteur pour que les victimes retrouvent leur dignité et puissent se reconstruire au mieux.
Au-delà, il nous faut comprendre comment de telles pratiques ont pu atteindre cette ampleur, pendant plus de 30 ans, et avec quelles complicités : diverses alertes ont été exprimées et auraient dû les faire cesser.

Parmi les co-responsabilités déjà évoquées (familiale, professionnelles et institutionnelles), il y a celle de l’Ordre des médecins qui a systématiquement négligé les alertes concernant J.L.S. Cette conclusion correspond à celle de la Cour des Comptes qui, dans son rapport du 9 décembre. 2019 met en exergue la politique de l’autruche voire la complaisance de l’Ordre envers les médecins prédateurs sexuels. Avec les différents dossiers cités par cette Cour des Comptes (nous les reconstituons progressivement, cf. par exemple celui d’André Hazout, protégé par l’Ordre pendant 28 ans) et avec ceux que nous découvrons par ailleurs progressivement (cf. dossier de Gilles Soubiran, président démissionnaire de l’Ordre des médecins de Polynésie Française dont le procès est en instruction), nous avons donc affaire, non à des faillites ponctuelles de l’institution ordinale, mais à une faille systémique d’une structure corporatiste qui, avec sa juridiction d’exception, prétend à tort pouvoir prévenir les malversations des médecins, garantir leurs bonnes moralités et être mieux à même de dépister les déviances, de les juger et de les sanctionner.

Justice parallèle

L’Ordre souhaite donner l’illusion que sa justice parallèle est plus performante que la justice commune ; et il utilise des modes de fonctionnement (cf. la pratique communautariste de l’omerta confraternelle et le concept flou de défense d’une profession… etc) qui entrent en contradiction avec nos principes républicains d’assistance à personne en danger et de dénonciation de malversation.

Nous allons donc être très attentifs aux épisodes judiciaires qui vont se tenir dans les mois et années qui viennent. L’Ordre des médecins (qui a réussi à se faire accepter comme partie civile à Saintes, mais qui apparaît plus accusé que plaignant !) ne doit pas être reconnu victime dans cette affaire. Une mission d’enquête publique doit être diligentée rapidement pour faire le bilan de son mauvais « traitement des plaintes à caractère sexuel » qu’il a reçues ces dernières années et des suites disciplinaires éventuelles, où la complaisance pour les médecins prédateurs n’a que trop duré. Il faut envisager dès à présent la fin de ce type de juridiction ordinale d’exception qui, ici aussi, montre sa nocivité.

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Dr Bernard Coadou, Médecin généraliste, Secrétaire du MIOP (Mouvement d'insoumission aux ordres professionnels) Bordeaux (33)

Source : Le Quotidien du médecin