INTRODUCTION
La pandémie de Covid-19 a provoqué une véritable explosion de la téléconsultation. Alors que seules 80 000 consultations à distance ont été recensées en 2019 pour les généralistes, on en comptait 13,5 millions en 2020 et 9,4 millions en 2021 (1). L’apogée fut le mois d’avril 2020, avec 3,6 millions. La téléconsultation reste cependant une activité marginale qui a reculé au fur et à mesure que la situation épidémique s’améliorait. Ainsi, elle ne représentait que 5,7 % de l’activité des généralistes en 2020 et 3,7 % en 2021.
L’âge des professionnels entre en ligne de compte : la téléconsultation représente 4,8 % de l’activité des omnipraticiens de moins de 40 ans et 2,5 % de celle de leurs confrères de 65 ans et plus. Un sondage réalisé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) au premier trimestre 2022 (1) auprès de 1 500 médecins fait ressortir un avis globalement assez négatif des praticiens sur la téléconsultation : 46 % des généralistes se disent pas du tout ou peu satisfaits de leur pratique à distance, 38 % moyennement satisfaits et 16 % très satisfaits.
La téléconsultation est un outil supplémentaire à disposition du médecin et des patients qui peut rendre service dans certaines circonstances. Elle doit impérativement être réalisée par vidéotransmission sécurisée et la valorisation de cet acte est identique à celui mené en présentiel. Toutes les situations médicales sont a priori concernées par la téléconsultation, et plus particulièrement les motifs de consultation courants (exemple : renouvellement d’ordonnance), estime la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) (avis du 6 avril 2022).
Les enjeux de qualité et de sécurité des soins qui sont spécifiques à la téléconsultation sont liés à la capacité du professionnel médical à établir un diagnostic en l’absence d’examen physique direct ; à la protection et la sécurité des données personnelles de santé ; aux modalités de suivi rendues plus difficiles en cas d’éloignement entre le médecin et le patient ou du fait de la mobilité réduite du patient ; à la connaissance de l’environnement personnel et médical du patient.
Cet article de Mise au point donne le cadre général ainsi que l’essentiel des informations à connaître pour conduire au mieux une consultation à distance.
LA RÉGLEMENTATION
La téléconsultation dispose d’un cadre réglementaire assoupli depuis 2018. Le décret du 13 septembre et l’arrêté du 1er août 2018 (2) ont fait entrer la téléconsultation dans le droit commun de la prise en charge des actes médicaux par l’Assurance maladie. En 2021, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) rappelait dans un rapport (3) sur les « mésusages de la téléconsultation » que le médecin doit « se préoccuper du parcours de soins » du patient et s’assurer de la continuité des soins. Le Cnom plaide aussi pour un ancrage territorial du médecin procédant à la téléconsultation.
Pour qu’une téléconsultation soit prise en charge par l’Assurance maladie dans un cadre conventionnel, la téléconsultation doit s’inscrire dans le parcours de soins avec orientation par le médecin traitant, si lui-même ne fait pas la téléconsultation.
L’inscription dans le parcours de soins n’est pas exigée pour les patients âgés de moins de 16 ans ; pour les spécialités en accès direct ; si le patient n’a pas de médecin traitant ; si le médecin traitant n’est pas disponible dans un délai compatible avec l’état de santé du patient ; en cas de situation d’urgence (situation non prévue 8 heures à l’avance, suspicion d’une affection mettant en jeu la vie du patient ou l’intégrité de son organisme et nécessitant l’intervention rapide du médecin) ; pour les résidents en Ehpad ou en établissement accueillant ou accompagnant les personnes handicapées ; pour les détenus.
La téléconsultation demandée par le patient donne lieu au recueil de données à caractère personnel de santé qui, comme l’exige la loi (articles L1111-8 et R1118-8 et suivants du code de la santé publique), doivent faire l’objet d’un hébergement chez un hébergeur certifié ou agréé.
La Cnam a diffusé, le 6 avril 2022, une charte de bonnes pratiques de la téléconsultation (4), prévue par l’avenant n° 9 à la convention nationale du 25 août 2016. Elle stipule notamment qu’un médecin ne peut réaliser, sur une année civile, plus de 20 % de son volume d’activité à distance (téléconsultations et télé-expertises cumulées). Plus globalement, l’avenant n° 9 entérine le remboursement par l’Assurance maladie des actes de téléconsultation à trois conditions : respect du parcours de soins coordonné, alternance de consultations en présentiel et de téléconsultations et territorialité de la réponse aux soins.
Par ailleurs, l’avenant n° 9 introduit des assouplissements pour favoriser le développement des pratiques. Primo, la nécessité de la connaissance préalable du patient par le téléconsultant a été supprimée au profit d’une obligation d’alterner téléconsultations et présentiel pour un suivi médical de qualité. Secundo, un médecin peut être téléconsulté en dehors de son territoire si le patient réside dans une zone sous-dense dépourvue d’organisation territoriale de télémédecine.
L’ordonnance n° 2020‐1 408 du 18 novembre 2020 rend par ailleurs l’e‐prescription obligatoire pour tous les actes et prestations exécutés en ville d’ici le 31 décembre 2024. Cette obligation s’applique à toutes les prescriptions rédigées au cours d’une téléconsultation, soit directement depuis le logiciel métier, soit à partir de l’outil de téléconsultation (4).
Le professionnel médical, le pharmacien ou l’auxiliaire médical intervenant en télésanté doit inscrire dans le dossier du patient et, le cas échéant, dans le dossier médical partagé défini à l’article L. 1 111‐14 (Article R. 6 316‐4 du CSP) : le compte-rendu de l’acte de télémédecine ou de l’activité, et, le cas échéant, de la série d’activités, de télésoin ; les actes et les prescriptions effectués dans le cadre de l’acte de télémédecine ou de l’activité de télésoin ; son identité et éventuellement celles des autres professionnels participant ; la date et l’heure de l’acte ; et, le cas échéant, les incidents techniques survenus.
L’identification et la vérification de l’identité du patient sont obligatoires et tracées dans le dossier patient en s’appuyant sur l’identité nationale de santé (INS), conformément à l’article R. 1 111‐8‐7 du CSP.
La téléconsultation est facturée par le médecin téléconsultant au même tarif qu’une consultation en face-à-face, soit la téléconsultation (codée TCG) à 25 euros selon le secteur d’exercice du médecin. Les modes de paiement restent les mêmes que pour une consultation classique. Ainsi, en dehors d’une application du tiers-payant intégral, c’est le médecin téléconsultant qui précise les modalités de règlement de sa téléconsultation : paiement en ligne par carte bancaire, virement bancaire, chèque, autres.
Pour facturer une téléconsultation, il suffit de saisir ses actes dans le logiciel de gestion de cabinet, au même titre que pour une consultation en présentiel. Ceci peut être réalisé « en dégradé », sans carte Vitale, et sans envoyer de feuille de soins papier.
Le médecin téléconsultant dont le logiciel métier intègre les fonctionnalités prévues par l’avenant 18 « télémédecine » au cahier des charges Sesam-Vitale transmet une feuille de soins électronique en mode Sesam sans Vitale, en l’absence de carte Vitale du patient.
LES RÈGLES DE BASE DE LA TÉLÉCONSULTATION
La Haute Autorité en santé (HAS) a diffusé, le 7 décembre 2022, un Flash sécurité patient intitulé « Téléconsultation : à distance, redoubler de vigilance » (5). Outre ce qui relève du bon sens, la HAS rappelle que le praticien consultant à distance doit rédiger un compte-rendu de la téléconsultation et le transmettre de manière sécurisée au médecin traitant, aux autres professionnels de santé suivant le patient le cas échéant, et au patient.
Organisation de la téléconsultation
• Prévoir, pour le médecin comme pour le patient, un lieu au calme, avec une bonne luminosité, respectant la confidentialité et du matériel assurant une bonne vidéotransmission du son et de l’image afin d’établir une communication de qualité (5).
Prévoir des plages dédiées à la téléconsultation et un temps de consultation suffisant pour résoudre d’éventuels problèmes techniques et favoriser l’échange avec le patient (5).
• Prévoir une solution de repli en cas de problème technique.
• S’être procuré les données d’antériorité du patient s’il n’est pas son médecin traitant.
Préparation de la téléconsultation
• S’assurer du consentement de la téléconsultation par le patient, l’informer des modalités de déroulement et toujours lui laisser la possibilité de choisir une consultation en présentiel.
• Évaluer si le patient est éligible à une téléconsultation (situation clinique, données médicales disponibles, capacité du patient à se connecter, à communiquer à distance et à utiliser les outils informatiques). La barrière de la langue, un état cognitif et psychique altéré contre-indiquent la téléconsultation.
Déroulement de la téléconsultation
• Informer le patient du déroulement de la téléconsultation, vérifier son identité et tracer son consentement.
• Identifier le réel motif du choix par le patient d’une consultation par le moyen de la visioconférence, qui peut révéler un critère de gravité (patient trop essoufflé pour se rendre au cabinet médical, par exemple).
• Mener la téléconsultation selon les mêmes exigences qu’une consultation réelle, en réalisant un interrogatoire clinique adapté et en s’assurant de la bonne compréhension des explications par le patient ; redoubler de précautions pour s’assurer que le patient comprend bien les questions du médecin et ses réponses.
• La communication par visioconférence répond à des règles particulières. Elle débute par une présentation courtoise du médecin en donnant son nom, et requiert une attitude chaleureuse. La communication des informations tient compte du paraverbal (intonation, débit de parole…) et du non-verbal (posture, expression faciale…). Débuter par une question ouverte du type « Racontez-moi, que se passe-t-il ? » est conseillé. Répéter et reformuler souvent (pour un effet « accusé de réception »). Synthétiser en termes clairs et explicites. Afin d’évaluer la gravité de l’état du patient, les questions fermées très précises sont les plus utiles.
• L’examen clinique est délicat. Le médecin doit rester prudent sur l’interprétation des signes d’examen et développer l’observation du patient pour détecter des indicateurs de gravité : sueurs anormales, agitation, coloration, expression du visage, fréquence respiratoire, perception d’un sifflement inspiratoire ou expiratoire, position en particulier antalgique, dyspnée en position immobile et après 7 secondes de parole ou à l’effort, confusion, lenteur d’idéation, somnolence, mobilité, nystagmus, tremblements, œdèmes, cyanose, tuméfaction, rhinorrhée… Ce que le patient dit et la manière dont il le dit (agressivité, débit de parole rapide…) est utile pour évaluer son état émotionnel. Devant un écran à distance, le patient doit aussi se déshabiller si cela s’avère nécessaire.
• Si la téléconsultation n’est pas adaptée, le patient doit pouvoir bénéficier d’un examen physique, potentiellement en urgence selon les cas, au cabinet médical ou aux urgences.
• Au moindre doute, proposer une consultation en présentiel (par soi-même ou un praticien habilité), notamment s’il apparaît qu’un examen clinique est nécessaire, si la connexion internet est de mauvaise qualité ou si le patient se trouve dans un lieu inadapté.
• La décision partagée se construit à partir d’une reformulation synthétique (diagnostic, prise en charge et prescription) qui doit expliquer clairement la conduite à tenir. Ne pas hésiter à poser la question « Êtes-vous d’accord ? » et demander au patient de reformuler ce qu’il a compris, à propos du diagnostic comme du traitement ou de la prise en charge générale.
• Énumérer les signes potentiels d’aggravation qui peuvent survenir une fois la téléconsultation terminée, et la marche à suivre en cas d’apparition de ces signes.
• Le fait d’hésiter sur une prescription sous-tend un manque d’éléments. L’absence de certitude doit inciter à proposer une consultation en présentiel.
Hélène Joubert (rédactrice) avec le Dr François Lacoin, membre du Collège de la médecine générale (CMG)
BIBLIOGRAPHIE
1. Rapport Drees. La téléconsultation. Décembre 2022, n° 1249.
2. Décret n° 2018-788 du 13 septembre 2018 relatif aux modalités de mise en œuvre des activités de télémédecine. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037399738
3. Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Mésusage de la télémédecine. Rapport mis à jour en février 2022.
4. Cnam. Charte de bonnes pratiques de la téléconsultation. Avril 2022. https://www.ameli.fr/sites/default/files/Documents/Charte-bonnes-pratiq…
5. HAS. Flash Sécurité Patient « Téléconsultation : à distance, redoubler de vigilance ». Décembre 2022. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-12/spa_239_fs…
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