L’Institut Bergonié (Bordeaux), centre régional de lutte contre le cancer (CLCC) de la Nouvelle-Aquitaine, a annoncé l'expérimentation officielle en septembre, sur la base du volontariat, de la semaine de quatre jours au sein de son établissement. Dans les faits, cette organisation existe déjà pour les agents soignants et salariés médico-techniques qui effectuent leur service en 10 h 30 ou 12 h.
Pour l'instant, les médecins ne sont pas concernés mais l’objectif est d’étendre la démarche pour « promouvoir la qualité du temps consacré au travail et l’équilibre vie privée/vie professionnelle ». L'Institut espère aussi favoriser l’attractivité et la fidélisation de ses salariés. Directeur général adjoint de l’Institut Bergonié, Nicolas Portolan revient pour « Le Quotidien » sur les enjeux – et les atouts – de cette semaine de quatre jours.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi lancez-vous une expérimentation sur la semaine de quatre jours ?
NICOLAS PORTOLAN : L’idée, c’est de valoriser et d’étendre les dispositifs existants. Quand le personnel soignant – infirmiers, aides-soignants, manipulateurs radio, etc. – fait 10 h 30 ou 12 heures de travail par jour, on peut déjà parler de semaine de quatre jours. Notre objectif est notamment de parler aux jeunes à la recherche de leur voie professionnelle. Le secteur de la santé renvoie parfois une image de désorganisation, de manque d’innovation. Nous voulons montrer qu’on est capables de s’organiser autrement. Nos salariés, notamment les soignants, ont besoin de trouver en face d’eux des organisations qui correspondent à leurs besoins, à leurs moments de vie professionnelle.
Mais il ne s’agit pas non plus de passer d’un dogme à un autre, de généraliser pour tout le monde la semaine de quatre jours ! Un infirmier peut vouloir travailler cinq jours par semaine à une période de sa vie. Puis, un peu plus tard, vouloir concentrer son activité professionnelle sur quatre jours plus remplis, et consacrer une journée par semaine pour faire du sport. La semaine de quatre jours est une organisation de plus dans notre palette. Mais il faut trouver le bon équilibre entre les souhaits des salariés et les besoins des patients. D’autant que nous devons bien sûr assurer la continuité de toutes les prises en charge.
Comment va se dérouler votre expérimentation ?
Nous allons tout d’abord retenir trois, quatre ou cinq unités pilotes, à partir de septembre. Nous voulons partir du terrain pour appréhender l'impact de cette réorganisation. Ce n’est pas parce que la semaine de quatre jours fonctionne bien pour un salarié ou pour un service que cela rend service à tout l’établissement. Le bonheur des uns ne doit pas mettre les autres en difficulté.
En pratique, nous allons commencer par rédiger les nouveaux plannings. À l’Institut Bergonié, les salariés ont de la visibilité sur leur planning sur l’année. Ils savent quels jours ils vont travailler, s’ils vont travailler ou pas le 12 novembre 2024. C’est également un facteur d’attractivité. Cela signifie aussi que nous allons modifier les plannings le 1er janvier 2024. C’est à ce moment-là que l’expérimentation va réellement démarrer, pour une durée d’un an. Nous évaluerons les effets positifs de la semaine de quatre jours pour le salarié, son service, l’établissement et, bien évidemment, les patients.
Quels sont les avantages de la semaine de quatre jours pour les soignants ?
Cette organisation du travail sur quatre jours est déjà appréciée des salariés concernés, comme en témoigne le faible besoin en ressources humaines sur cette catégorie d’emploi à l’Institut, avec seuls 2 % des postes en cours de recrutement. L’expérimentation devrait permettre de favoriser l’attractivité d’autres professions du secteur de la santé, notamment celui de la recherche qui subit une forte concurrence du secteur privé.
De fait, cette organisation favorise l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Cela entraîne par exemple moins de trajets domicile/travail. Il faut aussi regarder les conséquences en termes de fatigue, même si deux fatigues s’opposent : celle des trajets et celle d’une journée allongée.
Mais au final, les retours sont plutôt positifs en termes de sécurité et de qualité des soins. Les changements répétés d’équipe augmentent le risque de perte d’information. Il est préférable d’avoir une seule et même équipe présente durant toute la journée. Enfin, les retours d’expériences montrent qu’il y a davantage d’engagement et une meilleure productivité des salariés.
Mais j'insiste, il faut aussi respecter certaines conditions dans la mise en place de cette évolution. Par exemple, le jour de roulement ne doit pas être fixe. Cela veut dire que le salarié n’aura pas forcément son lundi ou son vendredi jusqu’à la fin de sa carrière, ce qui n’interdit pas les salariés d’échanger leur jour de repos avec leurs collègues. C’est un principe qui permet de garantir une équité.
Comptez-vous étendre l’expérimentation aux médecins ?
Nous ne sommes pas encore prêts pour les médecins. L’approche n'est pas la même que pour les « non-cadres ». Les cadres répondent à des objectifs et réalisent des missions, ils disposent d’une autonomie importante en matière d’organisation. Nous allons donc tout d’abord expérimenter la semaine de quatre jours pour les non-cadres. Mais si cela fonctionne, nous verrons si nous arrivons à « embarquer » la population des médecins. Idéalement, nous le ferions de façon concertée avec les autres CLCC sous l’égide d’Unicancer.
Si l'ensemble d'une équipe veut passer demain à la semaine de quatre jours, cela impliquera une organisation médicale repensée en quatre jours, et il est fort probable que les médecins adhèrent au projet. Il faudra là encore bien définir les tâches de chacun. Imaginons aussi une activité de laboratoire, d’anapath ou de radiothérapie qui n’aurait pas encore basculé sur la semaine de quatre jours. Dans cette équipe, il faudra quelqu’un assurant la continuité sur des horaires plus étendus pour lire les résultats, valider les traitements. On ne parle ici que des activités à réaliser sur site. Mais on peut aussi imaginer que les médecins fassent de la biblio ou de la recherche un jour par semaine. Une chose est sûre : la population médicale s’intéresse de près à ce genre d’organisation, notamment les plus jeunes !
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