Enquête saisissante de la Cour des Comptes

Les trésors oubliés (et mal gérés) du patrimoine hospitalier

Publié le 26/01/2012
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DE JANVIER À JUIN 2011, la Cour des comptes a enquêté sur le patrimoine immobilier des hôpitaux publics non consacré aux soins. Son rapport met en lumière des chiffres qui contrastent avec l’image d’établissements endettés jusqu’au cou.

En partie issu de dons et legs, ce patrimoine des 1 200 hôpitaux français revêt différentes formes : terres, vignes, forêts, immeubles d’habitations, manoirs, châteaux, théâtres ou encore anciens bâtiments hospitaliers désaffectés. Un trésor (surtout concentré à Lyon et Paris) dont la Cour des Comptes déplore, d’un côté, l’absence d’exploitation, et de l’autre une utilisation inappropriée rendue possible par un cadre législatif trouble.

L’AP-HP épinglée.

L’hôpital utilise une grande partie de son patrimoine immobilier au service d’une politique de logement de son personnel. Les personnels d’astreinte ou de garde et les directeurs d’établissement sont sur le papier les personnes les plus à même d’en bénéficier. L’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) est visée pour manque de visibilité et de cohérence : « le patrimoine privé loge des agents qui ne travaillent pas ou plus dans l’établissement de santé », déplore par exemple la Cour. Pourtant bon élève sur la transparence de son patrimoine, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille a admis lors de son inventaire de 2003 que 48 % de son parc était jugé…impropre à l’habitation et 20 % inoccupé.

Dénonçant « les dérives potentielles d’un tel système d’avantages en nature », la Cour des Comptes demande « une remise en cause d’un dispositif devenu un avantage de rémunération et non plus un outil indispensable à la réalisation d’une mission de service public ».

Les établissements hospitaliers ne sont pas toujours aidés par la Loi. Sur l’encadrement des logements de fonction, la loi de janvier 1986 a vu ses décrets et arrêtés d’application paraître… 24 ans plus tard. Sur le budget et la gestion de ce patrimoine, la situation n’est pas plus reluisante. « Hétérogènes et parfois opportunistes », les pratiques comptables des hôpitaux restent souvent opaques. A l’exception des anciens locaux désaffectés, les recettes issues du patrimoine, parfois considérables (l’AP-HP a cédé en 2006 le théâtre Mogador pour 5,5 millions d’euros et un hôtel pour 14 millions d’euros), sont inscrites sur des lignes budgétaires variables, au gré des établissements.

Quant au paiement de l’impôt sur les sociétés (que les hôpitaux doivent payer s’ils se livrent à des activités lucratives au même titre que les entreprises), la Cour dénonce « des appréciations divergentes » d’un établissement à l’autre. Le CHU d’Amiens, propriétaire de terres agricoles, y est assujetti, mais pas les Hospices de Beaune, pourtant grand propriétaire foncier dont la production viticole a rapporté 3,3 millions d’euros en 2009. Une situation qui « suscite une interrogation, liée à la légitimité pour un hôpital public d’exercer une activité commerciale accessoire aussi importante ».

Des ARS plus vigilantes.

La Cour des comptes établit une série de recommandations. Auprès des hôpitaux : transparence dans le budget, parc locatif utilisé à des fins internes réglementées et géré par un prestataire extérieur, inventaire précis de tout le patrimoine hospitalier. Mais aussi auprès des Agences régionales de santé (ARS), peu regardantes sur cette manne financière. En 2010, l’ARS Rhône-Alpes a attribué une dotation de 11 millions d’euros au CHU de Saint-Étienne, en proie à des difficultés financières. « Cet établissement dispose pourtant d’un patrimoine privé dont une partie est facilement valorisable (une dizaine de logements de fonction vacants, 450 hectares de forêts, des immeubles dont les locataires ne sont pas ses agents…) », grince la Cour. La Cour place enfin une pierre dans le jardin de l’État, prié de clarifier les dispositions juridiques sur la gestion du patrimoine et de prendre en compte le filon des recettes des cessions immobilières dans la construction de l’Objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM).

ANNE BAYLE-INIGUEZ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9073