Pour la seconde fois, Marine Le Pen a réussi à se qualifier pour le deuxième tour de l'élection présidentielle face Emmanuel Macron. Historiquement imperméables à l'extrême droite, les médecins auraient à nouveau très peu voté pour la candidate du Rassemblement national, selon notre sondage d'avant le premier tour (4 % des médecins libéraux, 1 % des praticiens hospitaliers). Et dans cette enquête, 89 % des hospitaliers et 76 % des libéraux lui préféreraient le président sortant au deuxième tour.
Pour autant, les représentants de la profession interrogés ce lundi par « Le Quotidien » refusent à ce stade de donner des consignes de vote, contrairement au front républicain qui s'était dressé en 2002 face à Jean-Marie Le Pen.
Pas un parti politique
Présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), la Dr Rachel Bocher ne donnera pas de consigne de vote. Néanmoins, quand elle regarde dans le rétroviseur, elle estime que « le gouvernement actuel a fait plus pour l’hôpital que le PS ». Et d’ajouter : « Bien sûr, ce n’est pas suffisant et cela s’est fait sous la pression de la pandémie, mais c’est quand même lui qui a remis l’hôpital sur les rails. » Dans les mois qui viennent, la psychiatre du CHU de Nantes restera « vigilante » sur deux éléments liés aux carrières des médecins : « la qualité de vie au travail et les retraites ».
Présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (Snphar-e), la Dr Emmanuelle Durand ne donne pas davantage de consigne car « nous ne sommes pas un parti politique ». Mais elle prévient qu’il faudra « redonner la parole aux syndicats, car on ne peut pas faire de politique de santé sans les gens qui y travaillent et leurs représentants ». Selon elle, « le dialogue a été rompu » avec Olivier Véran ces dernières années. Elle espère donc que le prochain ministre ne prendra pas, à son tour, « des décisions unilatérales ».
Lignes rouges chez MG France
MG France ne donnera pas non plus de consigne de vote explicite. Mais le syndicat de généralistes met en garde les médecins contre les mesures rédhibitoires pour la profession. « On ne veut pas de gouvernement qui muselle les corps intermédiaires, avance le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Et puis, on refuse aussi toute proposition qui touche à l'AME (aide médicale d'état = NDLR) pour la population immigrée ». Pour le généraliste normand, la priorité du prochain locataire de l'Élysée doit être de « proposer des solutions pour résoudre les difficultés d'accès aux soins », en confortant les médecins qui sont en activité. Dans ce cadre, l'idée de moduler les tarifs en fonction du lieu d'installation formulée par Marine Le Pen (RN) est « simple à énoncer » mais « extrêmement complexe et irréaliste à mettre en place en pratique ». Quant à la régulation à l'installation avancée par Emmanuel Macron, MG France rappelle sa forte opposition contre cette proposition qui serait « inefficace et découragerait les jeunes ».
La CSMF estime également que ce n'est « pas son rôle » de délivrer des consignes de vote. « Notre seul parti, c'est celui de la médecine libérale, et de permettre à tous les Français d'avoir un médecin traitant. Nous serons excessivement vigilants sur ces points », indique le Dr Franck Devulder, son président. Il rappelle que le Ségur de la santé « s'il a beaucoup fait pour l'hôpital, n'a rien fait pour la ville ». Et appelle les deux candidats du second tour à faire de la santé « une grande cause nationale » avec « un nouveau pacte social de droits et de devoir ».
Appel à la grève
Président de l'UFML Syndicat, le Dr Jérôme Marty avait appelé à la grève ses adhérents ce lundi, pour protester contre l'absence de mesure pour la médecine libérale dans les programmes. « En gros, on a le choix entre la monarchie et le populisme, réagit ce lundi le Dr Marty. Bien que le programme de Marine Le Pen soit le plus cadré sur la santé et le réaménagement du territoire, toute la partie sur l'immigration est totalement incompatible avec l'exercice et l'éthique médicale. Quant au programme de Macron, c'est bis repetita, la chronique d'un échec annoncé alors que l'on court à la catastrophe ! » S'il prend position contre « l'extrémisme » de façon personnelle, le Dr Jérôme Marty ne donnera pas de consignes de vote au niveau de son syndicat.
Contacté ce lundi par « Le Quotidien », le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre national des médecins (Cnom), ne souhaite pas s'exprimer sur ce sujet. Néanmoins, rappelle-t-il, dans un message écrit adressé au « Quotidien », « les médecins sont attachés aux valeurs fondamentales de notre démocratie, valeurs qu'ils mettent en œuvre au quotidien dans leurs actions et qu'ils continueront de défendre par leur vote ».
Les patients craignent une santé à double vitesse
Côté patients, Gérard Raymond ne cache pas sa « peur » et son « inquiétude » face à la seconde place de Marine Le Pen. Le président de France Assos Santé – union nationale des associations représentatives des usagers de santé, qui réunit 15 000 patients et près de 1 000 organisations – souhaite porter haut et fort les valeurs de « liberté, égalité et fraternité en santé ». Avec le Rassemblement national, « je crains que nous perdions les valeurs du vivre ensemble et que nous risquions de soigner différemment en fonction de la couleur de peau, des cheveux ou de son accent », met en garde Gérard Raymond, ancien président de la Fédération française de diabétiques, qui présage un impact néfaste « sur les relations humaines, le respect et le vivre ensemble ».
Pendant l’entre-deux tours, France Assos Santé continuera à pousser les propositions des associations de patients, axées sur « une vraie politique de santé publique » et « la possibilité d’offrir à toute personne, en tout lieu, une offre de soin de qualité », résume Gérard Raymond.Une vision « fraternelle », jugée aux antipodes du programme de Marine Le Pen. Toutefois, Gérard Raymond ne souhaite pas donner de consigne de vote aux patients qu’il représente. « Nous sommes apolitiques, nous n’avons pas à nous positionner politiquement », tranche-t-il.
« Pas réjouissant » pour Médecins du monde
Alors que Marine Le Pen prône une extrême limitation de l’Aide médicale d’état (AME), réservée aux soins urgents pour les adultes, Irène Aboudaram, responsable pôle expertises thématiques et plaidoyer chez Médecins du Monde dénonce « des discours de plus en plus xénophobes, dans le rejet de l’autre ». Entre Macron et Le Pen, « la perspective n’est pas hyper-réjouissante pour les personnes étrangères », déplore Irène Aboudaram, qui rappelle que le président de la République a fragilisé l’AME en 2019, en introduisant un délai de carence. « Tout ce qui va provoquer un retard d’accès au soin met en péril la santé, et à un coût pour le système de santé », note la responsable de Médecins du Monde. L’ONG – qui regroupe 2 000 bénévoles – continuera à porter entre les deux tours ses propositions pour « défendre un système de santé universel et solidaire ».
La CFDT appelle à battre la candidate du RN
Du côté des confédérations syndicales, à ce jour, seule la CFDT a appelé à « battre la candidate du Rassemblement national en votant pour Emmanuel Macron » au second tour de la présidentielle le 24 avril. « Malgré une volonté affichée de dédiabolisation, le Rassemblement national n'a fondamentalement pas changé, écrit le premier syndicat français. Son programme politique centré sur la discrimination entre les citoyens, le repli sur soi et le rejet de l'autre, y compris en modifiant la Constitution, ses accointances internationales avec les autocrates, sa détermination à saper l'Europe sont un danger pour la démocratie ». La CGT doit définir sa position demain mardi et Force ouvrière a fait savoir qu'elle ne donnera pas de consigne du vote. L'union nationale des professions libérales (Unapl) devrait aussi se prononcer mardi soir. Enfin, du côté de l'industrie pharmaceutique, le Leem a indiqué au « Quotidien » ne pas souhaiter commenter le résultat du premier tour de la présidentielle.
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