Couverture médicale universelle, restructurations

Quand la Chine s’éveille à la santé

Publié le 22/04/2010
Article réservé aux abonnés

LA CHINE investit massivement en Afrique, veut conquérir le ciel avec son propre avion, et même marcher sur la lune. L’empire du Milieu est le leader mondial du textile, des jouets, de l’acier, du tabac. Dans le même temps, un milliard de ses habitants n’accèdent pas aux soins modernes. La réussite du "modèle chinois" dépend de la réponse qui sera apportée aux grandes questions sociales - retraites, emploi, éducation, santé. Sans système sanitaire de qualité et accessible à tous, point de renaissance durable.

Il y a urgence : le système de santé chinois est mal en point. La presse chinoise dénonce régulièrement des scandales, avec l’aval du gouvernement qui espère ainsi limiter les dérives. Comme le cas de ces jumeaux malades, à l’avenir suspendu à un tirage au sort pour savoir lequel des deux sera soigné. Ou bien l’histoire de ces enfants cancéreux qui retournent au village, une fois épuisé tout l’argent collecté par les villageois. Récemment, des bébés morts ont été retrouvés dans une rivière à proximité d’un hôpital.

La Chine aime à se comparer aux États-Unis. Va-t-elle leur emboîter le pas, et à son tour réformer sa couverture santé ? Pékin mesure l’importance de l’enjeu. Un nouveau plan de réforme médicale a été lancé début 2010, le douzième depuis les années 1950. Avec un objectif prioritaire, la mise en place - pas avant 2020 - d’une couverture maladie universelle. Le pays compte près de 1,4 milliard d’hommes (salaire moyen, 200 euros par mois). Ils sont moins de 300 millions, actuellement, à bénéficier d’une couverture publique de base, et seulement 5 % de la population peut s’offrir une assurance privée. Les inégalités se creusent sous l’effet de lignes de fracture multiples, à la fois géographique, économique, culturelle, et sociale.

Médecine traditionnelle et solidarité familiale.

La nouvelle réforme est ambitieuse. Il s’agit de réorganiser complètement l’offre de soins, de façon à recréer un service public efficace et accessible. Entre 1950 et 1985, le système, très étatique, a permis d’offrir des soins primaires à tout le pays. L’espérance de vie a doublé. En 1985, la Chine découvre les lois du marché, et change radicalement de cap. Elle décide que l’hôpital public doit être géré comme une entreprise, et lui demande d’apporter 85 % de son budget. Une privatisation presque totale. Les hôpitaux, depuis, font leurs marges sur le prix de vente des médicaments, qu’ils relèvent à leur guise. Les « enveloppes rouges » sont devenues la règle. Résultat, un milliard de Chinois n’accèdent plus à l’hôpital, et se trouvent privés de soins modernes : il n’y a ni cabinet ni médecine de ville en Chine. « Le couvercle de la marmite n’a pas volé en éclat car la médecine traditionnelle chinoise a fonctionné comme un substitut. La solidarité familiale a aussi joué un rôle très fort », analyse Jean-Louis Durand-Drouhin, ancien directeur de l’ARH du Limousin, en poste comme conseiller social à l’Ambassade de France à Pékin jusqu’en 2009.

Le virage social récemment emprunté par le gouvernement chinois demande à être confirmé. L’État assure qu’il va se réengager dans la santé, mais à quelle hauteur ? « C’est toute la question. La réforme annoncée est extrêmement ambitieuse, elle suppose beaucoup d’argent public. Il faut s’attendre à une mutation sociale très longue, en raison de l’effet nombre : on ne crée pas une assurance-maladie pour 1,4 milliard de personnes en quelques années seulement », conclut Jean-Louis Durand-Drouhin.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8756