« Nous sommes à quelques jours de l’explosion du Boeing »

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Publié le 31/03/2023
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En 2018, le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH) avait appelé les praticiens intérimaires au boycott de certains hôpitaux pour protester contre le plafonnement de leurs salaires. Cinq ans plus tard, son président, le Dr Éric Reboli, persiste et signe.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN. Le plafonnement des rémunérations va entrer en vigueur le 3 avril. Quelle est votre position ?

Dr ÉRIC REBOLI : Nous ne pouvons pas accepter un salaire aussi ridiculement bas. Payer 30 euros net de l’heure (si on enlève les primes de précarité de 10 % et de congés payés de 10 %, NDLR) - des médecins qui ont fait 10 à 15 ans d’études, c’est méprisant. Le système de santé est déjà à l’agonie, et on est en train de lui donner un coup de poignard dans le dos supplémentaire. Nous travaillons depuis des semaines dans l’ombre pour combattre l’application de cette loi.

Comment comptez-vous y opposer ?

Nous allons refuser toutes les missions à partir d’avril. Nous sommes au moins 10 000 médecins intérimaires. À ma connaissance, plus de 90 % d’entre nous refuseront de travailler. Il y aura des annulations en masse dans les hôpitaux car les établissements ne peuvent pas se passer des intérimaires. Dans l’Est, des centaines de services vont fermer. En Corse, des lignes de garde et des Samu vont disparaître. Cela sera aussi dramatique en Bretagne ou en Île-de-France. Les établissements ne seront pas capables de sortir les plannings. Certaines directions convoquent les intérimaires pour leur forcer la main, leur faire signer des contrats de praticiens contractuels. Mais cela ne fonctionnera pas car les hôpitaux sont aux abois.

Je ne vois pas comment François Braun pourrait faire appliquer cette loi début avril. Il pense que nous allons craquer au bout de six semaines. Mais en réalité, les hôpitaux ne tiendront même pas une semaine ! Ils vont faire la Une des journaux car les conséquences de la réforme seront dramatiques pour les patients. Il y aura forcément des personnes qui vont décéder car elles ne seront pas prises en charge. Le 15 et le 18 vont être débordés. Nous sommes à quelques jours de l’explosion du Boeing en mer.

Selon François Braun, la rémunération d'une garde de 24 heures peut monter jusqu'à 5 000 euros. N’est-ce pas excessif ?

Nous ne cautionnons pas les salaires exorbitants. Mais, dans le même temps, je n’ai jamais vu d’offre à 5 000 euros. Personnellement, le maximum que l’on m’ait proposé, c’était 2 500 euros la garde. Et, pour 80 à 90 % des intérimaires, la garde se situe entre 1 200 et 2 000 soit entre 40 et 70 euros de l’heure.

Les dérives de l'intérim coûtent chaque année 1,5 à 2 milliards d'euros aux établissements public selon le président de la FHF. Que lui répondez-vous ?

N’oublions pas que, si les intérimaires n’étaient pas là, il faudrait payer des titulaires à la place. J’ajoute que ceux-ci ne sont pas uniquement un coût pour l’employeur. Nous sommes aussi des apporteurs de chiffre d’affaires pour les hôpitaux. Dans un service d'oncologie ou de réa, quand un intérimaire coûte 400 ou 500 euros, la chambre est facturée 3 000 ou 4 000 euros.

Est-ce pour la rémunération que certains médecins préfèrent l'intérim ?

Si les titulaires quittent l’hôpital, c’est en partie en raison des conditions de travail, de la pression du management et du risque de burn-out. Si l’hôpital était plus attractif, il y aurait beaucoup moins d’intérimaires pour boucher les trous. François Braun dit toujours que l’on est détesté par les titulaires. Moi, j'ai des contacts quotidiens avec eux et je peux vous dire que je n'ai pas de souci particulier. Sans nous, ils savent très bien qu’ils ne pourraient pas prendre de week-ends ou de vacances.

Avez-vous réellement gagné 6 900 euros en une semaine, comme le relate un article du « Point » ?

En réalité, j’ai fait 105 heures de travail en dix jours pour dépanner deux hôpitaux. J’ai effectivement gagné 6 900 euros. Mais cela correspond à 50 euros de l'heure, sans compter les temps de transports. Car, quand je fais six à sept heures de route pour aller travailler, je ne travaille pas la veille ni le lendemain.

Quelle part des intérimaires est payée au-dessus du plafond prévu par la loi ?

100 % ! D’ailleurs, je n’appelle pas ça un plafond, mais plutôt un plancher !


Source : Le Quotidien du médecin