Au Liban, pénuries et contrebandes mettent la vie des patients en danger

Publié le 24/02/2023
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La crise économique qui touche le Liban depuis 2019 s'accompagne d'une difficulté d'accès aux traitements. Les médecins se retrouvent ainsi confrontés aux médicaments de contrebande qui se retrouvent même dans les hôpitaux.
Valise remplie de médicaments d'un expatrié libanais qui revient de Nicosie (Chypre)

Valise remplie de médicaments d'un expatrié libanais qui revient de Nicosie (Chypre)
Crédit photo : Christina ASSI / AFP

Il y a quelques semaines, un lot contaminé de methotrexate 50 mg destiné au traitement du cancer et des maladies auto-immunes a été identifié au Liban. Le laboratoire indien qui le fabrique le réservait pourtant à son marché intérieur. Mais entré illégalement au Liban, celui-ci était référencé dans les pharmacies des hôpitaux. « Nous n’en détenions pas, mais aujourd’hui, même les hôpitaux se fournissent au marché noir », reconnaît Christian Sawma, directeur de la pharmacie du Lebanese American University Medical Center – Rizk Hospital (LAUMC-RH).

L’ensemble des professionnels de la santé font face à de graves ruptures d’approvisionnement depuis le déclenchement de la crise économique en 2019, particulièrement pour les traitements des maladies graves comme le cancer. Ils y suppléent éventuellement en faisant appel au marché noir. C’est cela ou employer des médicaments périmés, témoigne le pédiatre Robert Sacy, directeur de l’hôpital pour enfants de la Quarantaine de Beyrouth : « des fabricants ont récemment autorisé l’usage de lots dont la date était échue d’un à trois mois ».

Détournement et spéculation

Tout ou presque entre maintenant en contrebande. « La Turquie est le principal pourvoyeur : avec la dévaluation de sa monnaie, ses produits figurent parmi les moins chers de la région », explique Karim Gebbara, président du Syndicat des importateurs de produits pharmaceutiques, qui estime que la contrebande représente 35 % des ventes officielles quand elle était quasi inexistante avant 2019.

En cause ? La gestion de la crise. Soucieux de préserver les prix des médicaments à un niveau acceptable (même s’ils ont toujours été élevés, le secteur s’organisant autour d’un cartel d’importateurs), le ministère de la Santé a choisi de subventionner 1 150 médicaments importés destinés à soigner des maladies graves, comme le cancer, ou chroniques, à l’image du diabète.

Faute d’un budget suffisant (équivalent à 23 millions d’euros mensuels), tensions et pénuries sont apparues. Et ce d’autant que certains intermédiaires en ont profité pour spéculer, en sur-stockant les médicaments subventionnés dans l’attente de la libéralisation de leur prix ou bien en les vendant vingt à trente fois leur prix d’achat en Afrique ou en Syrie notamment.

Il est ainsi presque impossible de trouver du lait pour nourrisson au Liban, un produit pourtant subventionné jusque-là. « Ma famille en Syrie m’en a procuré. Quand je l’ai reçu, j’ai réalisé que ce produit syrien venait à l’origine du Liban ! », témoigne Hoda, une syrienne installée au Liban. C’est d’ailleurs pour cette raison que le ministre de la Santé, Firas Abiad, a décidé mi-janvier d’arrêter de le subventionner. « Le ministère continuera d'aider les familles qui n’ont pas les moyens », a-t-il promis lors d’une conférence sans toutefois détailler les mesures éventuelles.

La contrebande s’est depuis répandue à toutes les classes thérapeutiques, y compris celles non subventionnées. « Au Liban, le Nexium (contre les reflux gastro-œsophagiens, ndlr) se vend l’équivalent de 13 dollars quand le générique syrien se trouve à 1,5 dollar au marché noir, assure Alia, dont le salaire de professeure d’école a été réduit à l’équivalent de 50 dollars depuis la crise et la dévaluation de la monnaie nationale. Pour moi, le calcul est vite fait ».

Médecine aléatoire

Pourtant, les traitements issus du marché parallèle peuvent générer des pertes de chance : efficacité douteuse, tolérance moindre, effets indésirables… Lorsqu’il s’agit de maladies graves, ils entraînent en plus un risque de récidive accru et abaissent le taux de survie. « On jongle. On démarre avec un médicament. Quand celui-ci est indisponible, on attend que le malade le trouve ou on lui en affecte un autre disponible. Dans le premier cas, on ignore comment il a été transporté, ses conditions de conservation, et s’il est même efficace. Dans le second cas, on identifie mal l’interaction des traitements entre eux et on agit au petit bonheur la chance », déplore un oncologue sous couvert d’anonymat.

Avec la généralisation du marché noir, apparaît en outre un autre fléau, plus terrible encore : les contrefaçons. L’an passé, le LAUMC-RH en a identifiées une quarantaine vendues à prix d’or à des malades désespérés souffrant d’un cancer. Ce qui a d’ailleurs poussé cet hôpital universitaire a demandé une licence d’importation, auprès des services du ministère, pour faire venir les traitements en tension directement. « Nos médicaments seront nécessairement plus chers que ceux qui bénéficient de la subvention du ministère », relève Christian Sawma. Disponibles mais hors de prix ou subventionnés mais introuvables ? Le chemin de croix du malade libanais, confronté à la difficulté voire l’impossibilité de se soigner, ne fait que commencer.

À Beyrouth, Muriel Rozelier

Source : Le Quotidien du médecin