Avec la pertinence des actes, revoilà la maîtrise médicalisée

Un colloque cherche à dissiper les suspicions

Publié le 24/05/2011
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« UN DÉBAT ÉPINEUX, pavé de bonnes intentions, mais tout plein de chausse-trappes. » Ainsi le géographe de la santé, professeur d’Aménagement sanitaire à l’Université de Montpellier, Emmanuel Vigneron, a-t-il résumé la problématique de la « pertinence des actes » dans le cadre d’un colloque organisé à Paris par la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

Nouveau nom de la « maîtrise médicalisée », la pertinence des actes a été remise sur le devant de la scène à l’automne dernier par la Fédération hospitalière de France (FHF), soucieuse de faire « mieux » au lieu de « plus » dans un contexte budgétaire contraint. « Tout ce qui est possible médicalement et scientifiquement n’est pas forcément souhaitable. (...) Dans un système juridiquement, administrativement… Inflationniste, peut-être que les actes inutiles empêchent les actes indispensables », est venu expliquer à ses pairs du secteur privé le président de la FHF, Jean Leonetti. Message parfaitement reçu à la FHP dont le président, Jean-Loup Durousset, appelle à « un raisonnement apaisé et serein sur cette question clé ».

De fait, même s’il est connu – on peut considérer comme des précédents les RMO (références médicales opposables, fugacement mises en œuvre en 1993) ou certaines règles de la CCAM –, le terrain est glissant. Et les mots ont leur poids. « Parler de "pertinence des actes", c’est dire qu’il existe une possible "impertinence des actes", et faire fi du libre choix, de la liberté de prescription… bref, de tout ce qui fait de la médecine un art », met en garde Emmanuel Vigneron. Président de la Conférence nationale des CME privées, le Dr Jean-Luc Baron va droit au but : « Il ne faudrait pas que cette pertinence des actes soit un faux nez à une régulation économique trop importante parce que cela se ferait aux dépens des patients. »

L’écueil du coût.

« Économie », l’épouvantail est de sortie même s’il n’est, insiste Emmanuel Vigneron, qu’une des multiples approches du concept d’acte pertinent. Car il y a aussi, explique le géographe, la pertinence médicale (évaluée par la HAS) et la pertinence sociale ou politique qui veut qu’en l’on offre à chacun, où qu’il se trouve et quel qu’il soit, l’accès à des soins de qualité. Les trois dimensions de la pertinence font apparemment consensus. Médecin conseil national du RSI, le Dr Antoine Perrin retient lui aussi « les mots clés "qualité", "équité" et "coût" ».

Le volet « équité » permet à plusieurs orateurs de présenter la « pertinence » sous un jour inhabituel : la mettre en œuvre, c’est certes traquer les actes inutiles – l’exemple de la radiographie simple du crâne en cas de traumatisme crânien est brandi par Jean Leonetti –, mais c’est aussi introduire les actes utiles dans des endroits où ils n’existent pas. « Il y a des régions où un acte donné est fait à un taux tellement bas que ça en devient un problème de santé publique », fait ainsi valoir le Dr Jean-François Thébaut, du collège de la Haute Autorité de Santé (HAS). « Est-il normal qu’ici on fasse trop de ceci alors que là, on ne fait pas cela ? », s’interroge Emmanuel Vigneron. Sauf que, dans ce registre du « pas assez », le problème est aussi complexe que dans celui du « trop » : « Il y a des départements où le taux d’opération de la cataracte est 5 fois inférieur à la moyenne nationale, rapporte Jean Leonetti. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’ophtalmos… » Histoire de faciliter la réflexion, le président de la FHF distingue finalement trois cas de figure pour juger de la pertinence d’un acte : « Il y a les actes non pertinents faciles à évaluer et faciles à régler (la radio du crâne) ; (...) il y a les actes non pertinents faciles à évaluer mais difficiles à régler, comme les amygdalectomies (pourquoi les fait-on en France et pas en Allemagne) ou le recours à la césarienne ; (...) il y a enfin les actes non pertinents complexes à évaluer et complexes à régler, comme la multiplication des examens biologiques et radiologiques à l’hôpital public. »

Le chantier, non content d’être sensible, paraît gigantesque. Comment évaluer la pertinence de 7 000 actes, de 2 300 GHS, voire de l’ensemble des 12 millions de séjours d’hospitalisation enregistrés chaque année (chiffre 2009) ? Jean Leonetti trace des priorités : il faut, dit-il, « commencer par travailler sur les actes les plus courants, les plus coûteux, et peut-être les plus pénalisants pour le malade ».

 KARINE PIGANEAU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8969