Le pari audacieux des « dinos »

Faire médecine sur le tard, la clé de l’épanouissement ?

Publié le 16/09/2019
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On les appelle les dinosaures, ou « dinos ». Ils ont au moins 10 ans de plus que leurs congénères externes ou internes. Ils ont fait médecine sur le tard et par passion. Sont-ils réellement épanouis lorsqu’ils peuvent enfin réaliser leur rêve d’installation ? Beaucoup parlent de problèmes financiers et de désillusions car ils n’ont pu obtenir la spécialité tant attendue, mais en majorité ils sont heureux d’avoir fait « ce qu’ils avaient à faire ».

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Sur le Forum des étudiants en médecine remede.org on trouve la définition du « « dinos » » : se dit d’un étudiant débutant un nouveau cursus de formation après avoir déjà eu une vie professionnelle. Le sujet est abordé dans au moins 30 sous-thèmes et en particulier dans ceux ayant trait à l’accès aux études de médecine par le biais des « passerelles ».

En effet, les détenteurs de diplômes listés (auxiliaires médicaux avec au moins 2 ans d’exercice, ingénieur, enseignant-chercheur, docteur en sciences ou titre correspondant à une validation de 300 crédits européens…) peuvent prétendre à intégrer le cursus de médecine en deuxième ou troisième année après avoir subi une première sélection sur dossier suivie d’un oral. La plupart des « dinos » choisissent cette voie.

Certains – qui n’avaient jamais tenté la PACES jusque-là – préfèrent s’inscrire en même temps en première année traditionnelle, même s’ils tentent leur chance en passerelle en parallèle. Pour Guillaume, 42 ans, jeune interne et ancien chercheur en mathématique, « heureusement que j’ai présenté la PACES, j’ai été recalé à l’oral de passerelle en grande partie en raison de mon âge et de ma trop grande expérience dans un domaine très spécialisé ».

Passer le pas de l’inscription

« J’ai mis des années à me décider à m’inscrire en passerelle. J’étais infirmière après avoir raté deux fois la PACES et j’avais perdu toute confiance en moi. J’ai tenté de faire le dossier une première fois mais je n’ai même pas eu le courage de l’envoyer car j’avais peur d’être recalée. Puis j’ai côtoyé des externes dont le niveau me semblait proche du mien et là j’ai enfin pu trouver la force », explique Aline, 47 ans, remplaçante.

« À l’oral, l’une des premières questions que l’on m’a posées était sur ma capacité à suivre des cours et à être en stage avec des étudiants 10 ans plus jeunes que moi », raconte Franck, ancien dentiste et néo-médecin.

La question du financement des études peut représenter un frein. Certes, il est possible de demander, pour les plus de 28 ans, que les études soient considérées comme une formation continue avec la possibilité de postuler pour 3 ans à des indemnités de retour en formation. Mais pour la plupart des « dinos », il n’y a guère d’autre solution que de piocher dans ses économies ou de travailler en parallèle des études.

Bienveillance et scepticisme

Une fois acceptés en médecine, les « dinos » doivent s’atteler au travail quotidien en amphi et aux stages hospitaliers. « Le regard des jeunes est parfois cruel. Ils ont eux le sentiment de perdre leur propre jeunesse avec ces études exigeantes. Ma présence les renvoyait à ce sentiment. Certains m’ont même demandé : "jusqu’à quel âge est-on encore taraudé par le regret de ne pas avoir fait médecine ?" », ajoute Guillaume.

En stage, c’est aussi parfois difficile. Pour Anne-Charlotte, une interne qui ne fait pas ses 38 ans, « j’ai tout vu de la part des autres étudiants, comme de leurs chefs : de la bienveillance, du scepticisme, de l’incompréhension, de l’agressivité lorsque j’ai demandé des jours d’enfant malade… ».

Pour Karine, ancienne prof de SVT, « la quantité de travail à fournir est phénoménale. Surtout que moi j’avais gardé un travail à temps partiel ».

En outre, l’externat impose de travailler l’été, pendant les vacances scolaires, les fêtes… « Heureusement que mon mari était là pour les enfants », continue Anne Charlotte. « Mais lui aussi a eu du mal avec mes études, il a fini en burn-out alors même que je n’avais pas encore passé les ECN ».

Un « dino » sur les 2 000 premiers

Les ECN sont justement l’un des moments décisifs dans la vie d’un « dino » car la plupart avaient une idée de spécialité dès leur entrée en médecine. Très peu parlent d’une vocation de généraliste. Or, pour pouvoir intégrer la spécialité de leur rêve, un bon classement aux ECN est essentiel, d’autant plus qu’avec l’âge, les étudiants sont moins mobiles géographiquement (du fait d’obligations familiales). Certains choisissent l’engagement en CESP (contrat d'engagement de service public) pour avoir plus de chances d’intégrer la voie de leur rêve, même si c’est au prix d’un engagement d’installation en territoire sous-dense.

Les résultats des ECN ne sont que rarement à la hauteur des espérances. Ainsi, aux ECN 2018, un seul « « dino » » (plus de 35 ans) s’est classé dans les 2 000 premiers contre 47 dans les 1 000 derniers (le plus âgé ayant 62 ans, voir le Quotidien du 5/7/2018). Récemment un PUPH parisien, ancien « dinos », a avoué n’avoir été classé que dans la deuxième moitié des postulants.

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin