Laëtitia Laude (EHESP) : « Le meilleur clinicien n’est pas toujours le meilleur manager »

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Publié le 19/04/2024
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Constatant un manque dans la formation médicale, l’École des hautes études en santé publique (EHESP) a créé en 2014 un diplôme d’établissement de médecin manager. En dix ans, Laëtitia Laude, docteure en sciences de gestion, a formé plus de 250 praticiens issus du public comme du privé.

Crédit photo : Laëtitia Laude

LE QUOTIDIEN : À qui s’adresse le diplôme d’établissement de médecin manager ?

LAËTITIA LAUDE : Cette formation s’adresse à tous les médecins responsables d’équipes ou de projets, qu’ils soient issus du public, du privé, de l’hôpital ou du libéral. Cela peut concerner aussi bien des chefs de service que des médecins leaders de soins primaires ou des médecins responsables de centres de lutte contre le cancer. Certains praticiens viennent se former plusieurs années après leur prise de fonction, d’autres viennent dès le début. L’enseignement dispensé se concentre sur le fonctionnement en équipe, le pilotage des transformations, l’innovation et la gestion des projets ainsi que des conflits. Ainsi, dans certains environnements médicaux particulièrement rudes, la conflictualité demeure une préoccupation quotidienne et fait fuir les professionnels.

Les médecins sont-ils suffisamment formés au management durant leur formation initiale ?

Je ne suis pas capable de dire s’il y a des lacunes dans la formation des médecins. En revanche, je constate que les équipes médicales et médico-soignantes expriment de plus en plus le souhait d’être managées dans le respect du collectif. Elles ont besoin d’une qualité de vie au travail pour exercer leur métier de soignant avec sérénité. Ces dernières années, la charge de travail des médecins et des paramédicaux s’est intensifiée pour plusieurs raisons (évolutions du temps de travail et du rapport au travail, tensions liées au modèle de financement, encadrement de l’intérim, etc.). Logiquement, les besoins en management ont augmenté en même temps que les tensions se sont exacerbées. Les médecins aspirent de plus en plus à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, ce qui nécessite un management collaboratif adapté à ces attentes. La formation évolue dans les cursus médicaux : des initiatives sont prises dans les facultés pour renforcer les connaissances et les compétences (gestion des conflits, relationnel, connaissance de l’écosystème) des jeunes médecins. C’est une très bonne chose. Il faut offrir des espaces de réflexivité [propriété consistant à pouvoir réfléchir sur soi-même, NDLR] dans la formation des médecins pour prévenir et anticiper le stress et les conflits interpersonnels. Mais il est vrai que les études de médecine sont déjà très denses.

Les nouvelles générations de médecins conçoivent-elles différemment le management que leurs aînés ?

Les jeunes générations ont davantage conscience de l’importance de ce travail. Le management est une tâche invisible, au sens où on le voit surtout quand il est mal fait ou pas fait. Les jeunes générations s’en rendent bien compte et savent que c’est indispensable pour que les équipes tournent bien. Pourtant, peu de jeunes médecins sont désireux d’occuper de telles fonctions. Face aux opportunités qui s’offrent à eux, certains préfèrent renoncer. Dès lors, de nouveaux modèles plus collectifs et plus interprofessionnels, avec un leadership partagé, émergent. Dans certains hôpitaux, des rotations de chefferie de service sont même envisagées comme c’est déjà le cas dans certaines cliniques américaines.

Pourquoi les médecins sont-ils si réticents à l’idée de remplir des fonctions managériales ?

Il est important de distinguer le management de proximité, comme la chefferie de service, et le management institutionnel, comme la chefferie de pôle. Pour cette dernière, le manque d’attractivité n’est pas quelque chose de nouveau. Être médecin manager à l’hôpital implique une charge de travail et une responsabilité sur le collectif. Beaucoup de praticiens voient ça comme un nid à problèmes. Ceux à qui ces postes sont proposés au sein des CHU ont déjà trois métiers (clinicien, enseignant et chercheur) et ne souhaitent pas s’en rajouter un quatrième. Malgré leur importance, les fonctions managériales restent peu gratifiantes.

Finalement, qu’est-ce qu’un bon manager ?

Le meilleur clinicien n’est pas toujours le meilleur manager. Pourtant, le choix se porte la plupart du temps sur le médecin le plus expert. Si un ancrage clinique est indispensable, je pense que nous devons réfléchir au processus de sélection de celles et ceux qui vont manager des équipes et des projets. Pour faire le lien dans un système en tension, il est primordial d’être doté d’une volonté de servir le collectif et d’une certaine plasticité cognitive et émotionnelle.

Propos recueillis par Aude Frapin

Source : Le Quotidien du Médecin