Examinée en séance depuis ce lundi soir 12 juin, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels de santé, portée par le député (Horizons) Frédéric Valletoux, soulève toujours la colère des représentants des médecins libéraux, qui ont fait monter la pression ces derniers jours.
Vendredi dernier, le collectif « Médecins pour demain » – ainsi que l'UFML – avait déjà appelé à une journée de fermeture des cabinets, en signe de protestation contre ce texte qui concentre plusieurs mesures jugées « inacceptables » pour la médecine libérale. Ce matin, quatre des six syndicats représentatifs (Avenir Spé-Le Bloc, UFML, FMF, SML) ont annoncé une grève « illimitée » à partir du 13 octobre, si les choses tournent mal. Ils exigent le rejet de la PPL Valletoux et la reprise dans les plus brefs délais des négociations conventionnelles.
Serrer la vis aux libéraux
À leurs yeux, certaines dispositions déjà adoptées en commission contraignent l'exercice médical libéral. À ce stade, le texte prévoit par exemple un rattachement automatique, « sauf opposition », des médecins aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Il prévoit aussi d'interdire l'intérim en début de carrière pour les futurs diplômés, d'instaurer un préavis de six mois en cas de départ ou encore de réclamer davantage de participation des cliniques privées à la permanence des soins en établissement de santé (PDS-ES).
Mais surtout, le texte examiné dès ce soir risque d'être le cheval de Troie d'une « régulation » à l'installation poussée par le groupe transpartisan de l'opiniâtre député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot. Plusieurs amendements prévoient que les médecins libéraux et chirurgiens-dentistes ne pourront s'installer « de droit » que dans les zones sous-dotées. L'installation dans les territoires déjà médicalement pourvus serait soumise à une autorisation de l'ARS (qui pourrait l'accepter par exemple si un autre professionnel quitte le territoire). Bref, le débat s'annonce houleux, traduisant le bras de fer actuel dans la lutte contre les déserts médicaux entre les partisans des incitations et les avocats de la coercition.
Pourrir la situation
Si le gouvernement a réussi jusque-là à faire barrage aux solutions punitives, le sort de ces amendements en séance est difficile à prévoir, tant la question dépasse les clivages politiques habituels. « Même dans mon camp, on est divisés, a reconnu Frédéric Valletoux devant l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis). Je ne souhaite pas que ça passe, mais aujourd'hui je ne parierais pas un euro, au contraire je n'en sais rien. L'exaspération est forte. Beaucoup en sont là, car ils ont l'impression que la profession n'a pas accompagné les évolutions sociétales. »
François Braun a lui-même mis en garde les parlementaires contre une mesure (la fin de la liberté d'installation) qui risque de « pourrir la situation », si elle est adoptée. « Ça va être chaud », a reconnu le ministre de la Santé ce lundi sur Europe 1. « Avec un hémicycle plein, on peut le repousser (...) On a une chance de le bloquer, mais elle est mince, il va falloir la saisir. » Sinon, « il faut s'attendre à un mouvement social extrêmement fort » chez les médecins libéraux, a-t-il prévenu.
Discrète jusqu'à présent, l'union Avenir-Spé-Le Bloc, premier syndicat représentatif des médecins spécialistes, ne cache pas sa colère. « Cette PPL ne contient que contraintes et obligations, elle stigmatise l'ensemble des spécialistes libéraux », déplore le Dr Patrick Gasser. Le co-président de cette alliance pointe du doigt les contraintes accrues pour les praticiens des cliniques dans le cadre de la PDS en établissement. « Nous ne sommes pas opposés à cette participation à condition qu'il y ait une équité de traitement pour les médecins du privé. Jusqu'à présent, les astreintes de la plupart des spécialistes comme les ORL ou les gastros ne sont pas payées ! Nous n'avons pas non plus de repos compensateur », dit-il. Le gastro-entérologue nantais refuse aussi qu'à travers la mutualisation des gardes, les praticiens du privé aillent travailler dans l'hôpital public. « Il n'y a pas de suivi des patients. On sait que c'est une perte de chance pour eux », ajoute-t-il. Quant à la coercition que souhaite voir imposer Guillaume Garot, « cela va être délétère. »
La moitié de la chirurgie peut s'arrêter
La date du 13 octobre pour un conflit de la médecine libérale n'est pas choisie au hasard. « C'est en octobre que le texte passera au Sénat, indique le président de l'UFML-Syndicat, le Dr Jérôme Marty. On veut dès maintenant alerter les parlementaires si le conventionnement sélectif passe ». Pour l'heure, le syndicat poursuit son appel au déconventionnement collectif. « On veut peser pour avoir de vraies négociations conventionnelles tant sur la forme que le fond. »
Le SML souhaite que, par cet appel unitaire, « la PPL Valletoux ne sera pas adoptée ». « J'espère que les députés vont nous entendre, prévient la Dr Sophie Bauer, présidente du syndicat. Car ça va faire du bruit. Entre Le Bloc et le SML, 55 % des activités de chirurgie peuvent s'arrêter ». La FMF est sur la même ligne et prône une « action intersyndicale totale et complète ». « Cela s’est fait deux trois fois pendant les négociations, c’était très bien », soutient la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF.
Lignes rouges
À ce stade, deux syndicats représentatifs (la CSMF et MG France) ne rejoignent pas encore ce mot d'ordre. Contacté ce lundi par « Le Quotidien », le patron de la centrale confédérale, le Dr Franck Devulder, affirme néanmoins que « si les deux lignes rouges sont franchies, c’est-à-dire l'envoi des médecins libéraux faire des gardes à l'hôpital public ou la fin de la liberté d'installation, aucun syndicat ne manquera à l'appel de la grève illimitée le 13 octobre ».
Pour la présidente de MG France, la Dr Agnès Giannotti, « si à l'automne, la profession n'a aucun signal fort dans le cadrage pour reprendre les négociations conventionnelles, nous rejoindrons ce mouvement. Aujourd'hui, les généralistes se sentent méprisés ».
Au-delà des syndicats, sur le terrain, des mouvements de contestation tarifaire s'étendent. Après les 60 généralistes des Ardennes, c'est au tour de la coordination des médecins libres et indépendants du Maine-et-Loire (Comeli49) d'appliquer dès le 12 juin un complément d'un montant minimum de 5 euros pour protester contre la PPL Valletoux. Cet appel, précise la coordination, n'est pas « un moyen financier mais de protestation et d’ajustement légitime des charges de nos cabinets ».
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