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Dossier

Mille CPTS d’ici à 2022 ?

Les généralistes face au défi de l’exercice coordonné

Par Camille Roux - Publié le 26/10/2018
Les généralistes face au défi de l’exercice coordonné

Communauté pro
GARO/PHANIE

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) seront-elles la clef pour améliorer l’accès aux soins ? Le gouvernement veut créer un millier de ces communautés d’ici à fin 2022. L’objectif est ambitieux et nécessitera des moyens financiers, une forte volonté politique... mais aussi l’engagement de la profession. Car la majorité des médecins méconnaissent ou craignent cette organisation.

Cap sur la coordination. Le plan santé présenté début septembre par le gouvernement est clair : le système de santé doit se réorganiser et l’exercice libéral isolé devenir l’exception d’ici la fin du quinquennat. Pour cela, les pouvoirs publics souhaitent s’appuyer sur un outil existant : les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). La loi de modernisation du système de santé de 2016 définit ces regroupements virtuels d’acteurs sur un territoire comme suit : « La CPTS est composée de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours, (…) et d’acteurs médico-sociaux et sociaux. »

Cette volonté de travail coordonné est formalisée par un projet de santé transmis à l’Agence régionale de santé (ARS). Celui-ci doit déterminer le territoire couvert par la CPTS ainsi que ses missions. L’objectif est que les professionnels s’emparent de cet outil pour se coordonner de leur propre initiative. Ces sortes de maison de santé pluriprofessionnelles sans les murs peinent pourtant à émerger pour l’instant. Selon la Direction générale de l’offre de soins (DGOS-ministère), 200 projets ont été déposés auprès des ARS à ce jour. Une trentaine de CPTS seraient déjà effectives dans les territoires, comme dans le sud de l’Eure-et-Loir (voir encadré). L’objectif fixé par le gouvernement est d’arriver à un millier de CPTS d’ici à 2022, réparties de manière homogène sur tout le territoire.

Manque de soutien

Couche administrative supplémentaire, manque de financements, mise sous tutelle de la médecine libérale par les ARS ou encore méconnaissance de cet outil… Les raisons du retard engrangé par ce dispositif sont multiples. Et pour cause, les médecins connaissent encore mal cette entité, comme l’a illustré un récent sondage réalisé sur legeneraliste.fr auprès de 200 omnipraticiens. 83 % des répondants ont confié ne pas savoir exactement ce qu’était une CPTS. On part de loin donc. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié le mois dernier dresse d’ailleurs un premier bilan contrasté de ces communautés : soutien public « très modeste », absence « de texte d’application », « une instruction peu précise et peu incitative », manque de « politiques actives » des ARS pour faciliter leur émergence ou encore un financement insuffisant.

La création d’une CPTS est aujourd’hui davantage un acte militant plutôt que l’application d’un modèle imposé par les pouvoirs publics. Les candidats se réduisent aux professionnels désireux d’organiser les soins non programmés, d’améliorer la coordination avec l’hôpital ou la prévention. Le rapport annuel de la Cour des comptes sur l’avenir de l’Assurance maladie invite également le gouvernement à passer la vitesse supérieure dans le développement de ces communautés. « Ces instances collaboratives ont un caractère facultatif, prennent des formes variées et n’entretiennent pas de coopérations suffisamment structurées avec les établissements de santé », analyse le rapport paru il y a trois semaines.

Besoin de financement

Le dispositif manque surtout de financements et d’attractivité. Actuellement, seule une partie du Fonds d’intervention régional (FIR) des ARS peut servir à la création et au fonctionnement d’une CPTS. Certaines collectivités locales jouent aussi le jeu et peuvent accorder une subvention dédiée. Agnès Buzyn prévoit de passer à l’avenir par une négociation conventionnelle interprofessionnelle (accord-cadre interprofessionnel (ACI) comme cela existe dans les maisons de santé) pour booster leur développement. Le directeur de l’Assurance maladie Nicolas Revel a annoncé des négociations entre la Cnam et les représentants de chaque profession dès le 2 janvier 2019. Ces discussions devraient aboutir à un accord comprenant divers indicateurs et missions à remplir par les CPTS en vue de financements supplémentaires. 

Lors des Entretiens de Bichat à Paris, le Dr Michel Varroud-Vial, conseiller soins primaires et professionnels de santé libéraux auprès de la DGOS a dévoilé quelques missions socles qui pourraient figurer dans l’ACI : « La garantie d’accéder à un médecin traitant sur un territoire, la réponse aux soins non programmés, la sécurisation des transitions villes-hôpital, la prévention, le maintien à domicile des personnes âgées ou encore l’accès facilité au second recours pour la fluidification des parcours. » Le financement par accord conventionnel devrait également permettre de rémunérer des fonctions de coordination au sein des futures CPTS.

Fonction de coordination

Actuellement, les professionnels assurent eux-mêmes, sur leur temps de travail, la coordination de la communauté territoriale (organisation de réunion, diffusion de l’information à tous les membres de la CPTS, lancement de projets de prévention…). Dans un rapport sur l’accès aux soins remis à Agnès Buzyn, la généraliste Sophie Augros, le député Thomas Mesnier (Charente) et la sénatrice Élisabeth Doineau (Mayenne) prônent un meilleur statut du métier de coordonnateur en soins primaires. Une formation est déjà dispensée par l’école des hautes études en santé publique de Rennes, mais devra être généralisée, selon les auteurs qui estiment que ces « leaders » de CPTS auront un rôle clé dans leur réussite. 

Le numérique est un autre enjeu majeur pour l’organisation. Aujourd’hui, les professionnels utilisent des messageries sécurisées, mais il leur manque un outil national ou régional pour échanger de manière sécurisée sur le dossier d’un patient, partager les agendas des membres de la CPTS, prévoir des réunions, dialoguer avec l’hôpital, etc. La généralisation du dossier médical partagé (DMP), prévu courant novembre, devrait constituer une première étape. Pour l’instant, chaque communauté bricole avec les moyens du bord (lire ci-dessous).

Quelle gouvernance ?

Pour assurer un développement rapide des CPTS sur le territoire, il faudra aussi convaincre les médecins. Certains craignent une strate administrative supplémentaire, d’autres une menace pour la liberté d’exercer. « Nousrefusons que les CPTS soient l’instrument déguisé d’une étatisation du système de santé », a prévenu le Dr Philippe Vermesch, président du SML, en congrès à Opio.

Sur ce point, les pouvoirs publics promettent beaucoup de souplesse et de laisser la main aux professionnels pour créer leur communauté de A à Z. « Les CPTS n’imposeront pas par le haut de contraintes administratives », assure le patron de la Cnam. « Pour marcher, il faudra qu’elles représentent plus d’opportunités que de contraintes », confirme le Dr Varroud-Vial.

Camille Roux