20 ans de carte Vitale mais des milliers de médecins « accros » au papier et qui refusent de « faire le travail de la Sécu »

Publié le 18/05/2018
Carte vitale

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Crédit photo : Phanie

Vingt ans après l'arrivée de la carte Vitale, des milliers de médecins refusent encore de l'utiliser, ce qui coûte des millions d'euros à l'Assurance-maladie qui n'envisage pas de sanctionner ces praticiens réfractaires.

« Quand la carte Vitale est arrivée, a priori je n'avais rien contre », se souvient Thierry, 57 ans, gastro-entérologue à Paris. Le large iMac qui trône sur son bureau atteste au moins que le praticien n'est pas allergique à l'informatique. Mais il ne s'est jamais équipé du lecteur et du logiciel nécessaires pour se servir de la fameuse carte à puce verte. « Je n'ai pas à faire le travail de la Sécu », se justifie ce spécialiste qui ne pratique pas de dépassements d'honoraires et travaille sans secrétaire. « Il faut laisser le médecin ne faire que de la médecine, le reste ce n'est pas son problème, c'est au patient de se débrouiller pour se faire rembourser », ajoute-t-il.

Taux de télétransmission stable

Comme lui, de nombreux médecins libéraux persistent à n'utiliser que des feuilles de soins papier : plus de 44 000 praticiens n'ont pas utilisé la carte Vitale en mars, selon le groupement SESAM-Vitale, qui produit les cartes et gère le flux de feuilles de soins électroniques. Au cours du même mois, seuls 61 % des spécialistes et 85 % des généralistes ont été « en télétransmission », taux stables depuis plus de cinq ans, sans que cela n'inquiète la Sécu. 

« Il y a une frange de professionnels de santé qui estiment être trop proches de leur fin d'activité pour se lancer dans l'informatisation ou la télétransmission », explique Pierre Peix, directeur délégué aux opérations de la CNAM, affirmant que « c'est un sujet essentiellement parisien ».

Les exemples ne manquent pourtant pas en dehors de la capitale. Comme Hélène, pédiatre dans les Bouches-du-Rhône, qui n'a « pas envie de s'embêter après 37 ans d'exercice », ou Daniel, 66 ans, généraliste dans la Manche, qui « n'aime pas être fliqué et n'a jamais accepté une carte Vitale, qui transforme les médecins en salariés des caisses d'assurance, tout en poussant les patients à une surconsommation médicale du fait du non-paiement ».

« Si mes patients me disaient que c'est très ennuyeux je m'alignerais, assure de son côté Marie-Hélène, gynécologue en Côte-d'Or, qui exerce depuis 40 ans. Mais ils ne critiquent pas et ne refusent pas de me payer directement. »

82 millions de feuilles en 2017

Cette résistance médicale a un prix pour la collectivité : une feuille de soins traditionnelle coûte en moyenne 1,60 euro à l'Assurance-maladie contre 0,11 euro pour une télétransmission. L'an dernier, près de 82 millions de feuilles papier ont encore été reçues par la Sécu, soit un peu plus de 6 % des actes médicaux remboursés. Ce nombre, qui inclut aussi les oublis ou pertes de cartes Vitale des patients, n'a cessé de diminuer depuis deux décennies.

Pour hâter le mouvement, la CNAM avait essayé en 2010 d'imposer une sanction pécuniaire aux médecins récalcitrants : 50 centimes d'euro par feuille de soins papier. Attaquée par un syndicat local, cette décision avait été annulée par le Conseil d'État pour excès de pouvoir. Cet échec a vacciné la Sécu et l'a poussée à poursuivre la distribution d'aides financières aux praticiens qui lui transmettent au moins deux tiers de feuilles électroniques.

Mais Thierry, le gastro-entérologue parisien, pointe des méthodes plus insidieuses : feuilles de soins jamais livrées, renvoyées à l'expéditeur ou impayés… « Il y a énormément de pressions pour que je télétransmette », dénonce-t-il. Combattant d'une cause perdue, il ne se résigne pas pour autant : « Plus il y a de méthodes coercitives, plus je résiste ! »

(Avec AFP)

Source : lequotidiendumedecin.fr