La grande lassitude des obstétriciens libéraux

50% d’entre eux prêts à quitter le territoire

Publié le 15/06/2010
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Crédit photo : S Toubon

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Crédit photo : S Toubon

DE GUERRE lasse, les obstétriciens libéraux n’excluent pas de quitter massivement le sol français cet automne (comme ont pu le faire, par le passé, des chirurgiens en colère contre le non-respect des accords chirurgie). L’opération se déroulerait en pleine nuit, durant le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Les accoucheurs espèrent ainsi forcer le Parlement à intégrer dans ce PLFSS une mesure réglant pour de bon leur problème d’assurance en responsabilité civile médicale.

« Ce serait une décision extrême. Nous espérons ne pas en arriver là », commente le Dr Jean Marty, secrétaire général du Syndicat national des gynécologues obstétriciens (SYNGOF). La moitié des troupes se tient prête, l’autre moitié hésite encore. La France compte 1 200 obstétriciens libéraux. Une centaine chaque année jette l’éponge. Le risque de faillite personnelle expliquerait la moitié des défections, selon Jacques Bichot, professeur d’économie à Lyon III. Car des trous de garantie existent, dont le SYNGOF demande la suppression. De même, le syndicat demande à l’ONIAM (office national d’indemnisation des accidents médicaux), donc à l’assurance-maladie, d’abandonner toute possibilité de recours contre les obstétriciens en cas de sinistres très lourds.

Des arguments neufs.

La problématique de l’assurance des accoucheurs libéraux a surgi en 2002. Elle est connue des pouvoirs publics depuis lors. Les obstétriciens, pour se faire entendre, ont misé sur un discours corporatiste pendant des années. « Pourquoi sommes-nous les seuls spécialistes à débourser 30 000 euros par an, parfois plus, pour nous assurer ? », ont-ils questionné. Mais le propos n’a pas fait mouche, et les accoucheurs changent à présent de fusil d’épaule. Ils invoquent des arguments financiers, en plein marasme économique. « L’aide à l’accréditation que reçoivent les obstétriciens coûte 10 millions d’euros par an. Autrement dit, l’assurance-maladie verse 10 millions d’euros par an aux assureurs », observe le Dr Marty. L’économiste Jean Bichot enfonce le clou : « C’est une erreur de confier l’indemnisation des erreurs médicales aux assureurs. Les pouvoirs publics ont choisi la solution la plus onéreuse pour la Sécurité sociale. Le transfert des accouchements vers l’hôpital public génère à lui seul 2 millions d’euros de surcoût chaque année. »

Les accoucheurs, et c’est nouveau, invoquent également la sécurité des soins. Le Dr Serge Favrin, expert Gynerisq et administrateur du SYNGOF, rappelle que le taux de césarienne a été multiplié par trois ou quatre en trente ans. « Est-ce utile et pertinent ? Pas toujours, reconnaît-il. La césarienne est source d’une mortalité maternelle multipliée par trois par rapport à un accouchement par voie basse. On vit sur un dogme qui est faux : non, la plupart des paralysies cérébrales ne sont pas dues à un problème à la naissance. 80% des infirmités motrices cérébrales sont dues à des événements anténataux. Si l’on continue les césariennes, c’est en raison de la pression médicolégale. On veut éviter les reproches du juge. Il n’y a jamais eu de procès pour césarienne abusive, mais il y en a eu beaucoup pour retard de césarienne. »

Le gouvernement envisagerait de confier une nouvelle expertise sur l’assurance obstétricale à Gilles Johanet. Les obstétriciens s’impatientent, et considèrent que c’est inutile. Trois propositions de loi circulent actuellement (une au Sénat et deux à l’Assemblée), ayant récolté plusieurs dizaines de signatures, et visant à supprimer les fameux trous de garantie. Le SYNGOF préférerait que la question soit réglée au sein du PLFSS.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8790