Bon usage de la téléconsultation : le Collège de la médecine générale énonce ses recos, l'Ordre cible les plateformes commerciales

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Publié le 01/04/2022

Crédit photo : PHANIE

« La téléconsultation est entrée dans les mœurs, mais elle nous interpelle : est-ce contre-nature avec la pratique médicale ? », s’est interrogé sans fard le Pr Serge Gilbert, vice-président du Collège de la médecine générale (CMG), lors du 15e congrès de l’organisation, qui vient de se tenir à Paris.

Pas d’examen physique du patient ni d’analyse de la communication non verbale, risque de nomadisme médical, craintes autour de la confidentialité : pour répondre aux défis de l’incontournable montée en puissance des téléconsultations, le CMG a constitué un groupe de travail ad hoc, coanimé par le Pr Serge Gilbert, qui a livré ses premières recommandations« Notre premier constat c’est que, oui, la téléconsultation fait aujourd'hui partie de la pratique des généralistes », assume le Pr Gilbert, notamment « pour répondre aux demandes de soins non programmés » – qui représentent tout de même 12 % du total des consultations annuelles en médecine de ville. Pour le CMG, la téléconsultation permet également de « réévaluer » des pathologies aiguës qui ne nécessitent pas de déplacement ou de nouvel examen. « Un service que nous rendions bien souvent par téléphone », observe le Pr Gilbert.

Les limites de l'écran 

Face à cette nouvelle donne (chaque généraliste concerné fait 38 téléconsultations par mois en moyenne, d'une durée de 16 minutes, selon Doctolib), l’enjeu est que « la téléconsultation n’entraîne pas de perte de chance pour le patient », insiste le collège.

Dès lors, le CMG propose d'abord de cadrer les conditions techniques de la visio : un patient au calme, télévision éteinte, une connexion de qualité et la mise à disposition des documents liés au motif de la consultation. « Une question à poser d’emblée au patient serait de lui demander s’il est tout seul dans la pièce, si on peut parler de tout, en confidentialité », illustre le Pr Gilbert.

Un point de difficulté est « la position d’analyse limitée pour le généraliste » qu'induit la distance. De fait, l’écran modifie le colloque singulier et peut compliquer le diagnostic. « Parfois, on peut poser un diagnostic juste en regardant le patient, sa façon de marcher, en sentant qu’il ne nous dit pas tout… Avec la téléconsultation, ce "gut feeling" [intuition] peut diminuer », alerte le vice-président du collège. Dans ce contexte, un objectif est d’éviter une prise en charge réduite au motif initial, sans prendre en compte la globalité du patient. L'écueil serait « d’apporter une réponse stéréotypée à chaque plainte, un antibiotique pour une cystite et c’est tout, c’est antinomique de la médecine générale », justifie le généraliste installé dans la Sarthe.

Réévaluation en présentiel

Pour assurer une prise en charge à distance de qualité, le CMG énonce une série de critères à respecter, dont l'accès au dossier médical du patient. « Il faut s’assurer de pouvoir consacrer un temps adapté au patient pour comprendre la complexité de sa situation », insiste le Pr Serge Gilbert.

Autres prérequis : la connaissance de l’environnement médico-social du patient, la possibilité de le revoir en présentiel « rapidement » et le respect du parcours de soins par ancrage territorial (même si des dérogations existent dans les déserts médicaux). Il convient aussi de recommander au patient de faire des réévaluations régulières en présentiel. « Le risque serait d’avoir des patients qui abandonnent carrément l’idée d’aller chez le médecin et qui n’auraient aucune perception de l’importance de l’examen clinique », éclaire le Pr Serge Gilbert.

Avertissement aux plateformes

Ces bonnes pratiques sont partagées par le conseil national de l’Ordre des médecins. « L’un des principes fondateurs, c’est l’ancrage territorial de la téléconsultation, souligne le Pr Stéphane Oustric, délégué général au numérique au Cnom. Nous tenons tout particulièrement à la connaissance physique préalable du patient. »

Des verrous quantitatifs ont été également posés. Alors que certains généralistes ont réclamé à l'Ordre de pouvoir exercer exclusivement en téléconsultation, « nous avons décidé de totalement l’interdire d’un point de vue déontologique et une telle pratique entraînerait poursuites disciplinaires et dépôts de plainte », prévient le Pr Oustric. De fait, l’avenant 9 à la convention médicale plafonne la téléconsultation à 20 % de l'activité totale.

Même avertissement de l'Ordre aux sociétés commerciales qui proposent exclusivement de la vidéo à leurs médecins, souvent hors parcours, et à grand renfort de publicité. « Ces plateformes sont dans le collimateur du Cnom, assure le Pr Oustric. Nous avons déjà engagé de nombreuses plaintes avec des résultats probants. » L'Ordre a d'ailleurs actualisé son rapport sur le mésusage de la télémédecine. Il y rappelle fermement aux médecins que la réalisation de téléconsultations par le biais de plateformes commerciales « ne les exonère en aucun cas de leurs obligations déontologiques ». 


Source : lequotidiendumedecin.fr