Hors du champs balisé des princeps

Des médicaments mal connus des médecins

Publié le 26/10/2015
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Niveaux de contrôle élevés et dossiers d'AMM etoffés devraient rassurer les prescripteurs

Niveaux de contrôle élevés et dossiers d'AMM etoffés devraient rassurer les prescripteurs
Crédit photo : AFP

« On a toujours des craintes envers ce qui est nouveau », reconnaît Xavier Pivot, oncologue au CHU de Besançon. « Les biosimilaires sont des médicaments particuliers, car ce sont des thérapeutiques fabriquées biologiquement. Ce sont des fabrications fragiles et il peut y avoir des petites différences d’une cuve à l’autre ou d’une usine à l’autre. Ce ne sont pas des copies parfaites, ce qui explique qu’on parle de biomédicaments similaires et non identiques. C’est cela qui inquiète beaucoup les médecins », estime-t-il.

D’après son expérience hospitalière, « tant que le biosimilaire correspond à des soins de support ça va. C’est le cas pour l’EPO, l’insuline, ou les facteurs de croissance. En revanche, pour l’herceptin et le mabthera par exemple, les médecins ont très peur. Il va falloir les rassurer, en leur rappelant que le niveau de contrôle est élevé et que les dossiers demandés aux industriels pour les autorisations de mise sur le marché de biosimilaires sont très lourds » (lire aussi notre entretien avec Alexandre Moreau – ANSM).

Pour lui, il reste néanmoins « difficile de mesurer la méconnaissance des médecins et leurs craintes, tant que les biosimilaires ne sont pas sur le marché ». Concernant les nouveaux médicaments attendus en 2017, le Dr Pivot attend de « voir comment la communauté médicale encaissera cette nouvelle classe thérapeutique », tout en rappelant qu’« on ne pourra se payer les médicaments futurs que si on peut faire baisser les prix des médicaments biologiques ». « Les médecins, estime-t-il, ont besoin des biosimilaires pour avoir accès à l’innovation ».

L’argument économique

Un avis partagé par le Pr Pascal Le Corre, chef du pôle pharmacie du CHU de Rennes. « Nous voyons arriver des innovations très coûteuses et les biosimilaires peuvent permettre de faire des économies pour financer l’innovation. C’est une sorte de cercle vertueux », estime-t-il. « Ce qui m’inquiète un peu, c’est qu’en France les génériques ont été mal acceptés par les patients et les cliniciens, du fait d’une incompréhension sur ce que sont ces médicaments. Cela a engendré des doutes au sujet de leur efficacité. ». Pour lui, « il est important que la communication soit très claire pour qu’il y ait une bonne acceptation de la part des patients, mais aussi du corps médical ». « Il faut, insisite-t-il, de la communication sur l’équivalence et l’efficacité et non sur le prix, sinon les patients pensent que c’est « low-cost » et que c’est moins bien. Pour les biosimilaires, il faudrait que les pouvoirs publics rassurent patients et médecins avec des campagnes plus adaptées que celles qui ont été faites sur les génériques. »

Une question de culture

Les industriels quant à eux, souhaitent également redorer l’image des génériques, tout en préparant l’avènement des biosimilaires. « Nous pensons que c’est avant tout par une démarche d’information que s’instaure une meilleure acceptation, déclare Philippe Bayon, directeur marketing chez Mylan. En particulier, en faisant comprendre qu’en acceptant le médicament générique, chacun a la garantie d’être aussi bien soigné qu’avec un médicament de marque tout en participant à la sauvegarde de notre système de santé. ». Pour lui, « la confiance envers les médicaments génériques passe également par l’échange entre patients et professionnels de santé. Si les pharmaciens connaissent bien ces médicaments, ce n’est pas toujours le cas pour les médecins. C’est pourquoi Mylan communique aussi directement auprès des médecins pour apporter des réponses à leurs questions, notamment sur la bioéquivalence et les excipients à travers un discours scientifique précis », indique-t-il. « La thématique des médicaments génériques est de plus en plus abordée, notamment via des campagnes comme celle de l’ANSM, et les patients commencent à mieux appréhender ce sujet. Toutefois, certaines idées reçues persistent et c’est pour cela qu’il faut continuer à communiquer ». Frédéric Girard, président de Sandoz France note quant à lui que « le niveau de culture sur les biosimilaires est très faible parmi tous les acteurs, sauf chez les médecins qui sont déjà prescripteurs (pédiatres spécialistes de la croissance, oncologues). Pour les autres populations, il y a encore un effort d’éducation à faire, notamment auprès des médecins, pharmaciens, régulateurs, législateurs, politiques et médias. Il y a des informations qui sortent avec un certain nombre d’inexactitudes. Pour que ce marché se développe bien, il faut un climat de confiance de tous les acteurs », insiste-t-il. Et même si la France n’est pas la plus mauvaise élève en matière de biosimilaires, il note que le chiffre d’affaires dans l’Hexagone « reste en dessous de l’Italie, de l’Allemagne et de l’Espagne ». Il atteint 82 millions d’euros en prix fabricants hors taxe, contre 3,8 milliards pour le marché des médicaments biologiques au total. « Et avec 0,4 % des volumes, les biosimilaires restent un petit segment du marché des médicaments biologiques », précise-t-il.

Pour rassurer les patients et les professionnels de santé, les autorités sanitaires ont aussi un rôle à jouer. « Faire accepter les biosimilaires, dans un contexte où les génériques sont boudés par les patients, risque d’être complexe, reconnaît Alexandre Moreau, directeur des médicaments en oncologie, hématologie, immunologie et néphrologie à l’ANSM. C’est notre rôle d’expliquer ce que sont les biosimilaires et que les risques associés à ces médicaments ne sont pas plus élevés que ceux des médicaments de référence. Cette information peut être complexe à faire passer car chaque patient réagit différemment par rapport à son caractère, à la gravité de sa maladie, etc. Mais c’est aussi notre travail de publier des recommandations adaptées aux prescripteurs et aux patients et d’expliquer qu’un biosimilaires a été accepté parce que sa balance bénéficie-risque est positive. »

Anne-Gaëlle Moulun

Source : Le Quotidien du Médecin: 9444