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Faux médecins : comment passent-ils au travers ?

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Publié le 22/01/2021
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Des individus usurpant l'identité médicale exercent parfois des mois sans que personne ne lève le lièvre, y compris dans des structures collectives comme l'hôpital ou un centre de santé. « Le Quotidien » a cherché à comprendre.

Dans plusieurs faits divers récents, les praticiens imaginaires avaient suivi une formation de soignant

Dans plusieurs faits divers récents, les praticiens imaginaires avaient suivi une formation de soignant
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Printemps 2020, en plein confinement. Samantha Avril, aide soignante de formation, achète un faux diplôme de médecin généraliste sur internet, payé 250 euros.

La mère de famille déjoue la vigilance de l'Ordre départemental de Saône-et-Loire auprès duquel elle valide son inscription, avant de prendre ses fonctions le 11 mai comme généraliste au centre de santé du groupe Filieris à Montceau-les-Mines. La trentenaire récupère la patientèle de son prédécesseur et exercera pendant près de cinq mois, avant que la supercherie ne soit dévoilée. 

La presse quotidienne régionale regorge de ces faits divers, aux airs de remake du film « Arrête-moi si tu peux », dans lequel le héros usurpe les métiers de pilote, médecin et avocat. En France comme ailleurs, les professions porteuses d'un certain prestige social sont la cible d'escrocs qui, parfois, courent toujours.

Des paramédicaux qui basculent

Mais le phénomène interroge particulièrement lorsqu'il se produit en médecine sur une longue période. Durant 14 mois, un pseudo-médecin a ainsi officié à l'hôpital psychiatrique d'Évreux, où l'imposteur était parvenu à se faire embaucher en février 2016 avec un diplôme roumain falsifié.

À cet égard, les faux diplômes de praticiens étrangers, plus difficiles à vérifier, sont fréquemment utilisés par les usurpateurs de titres. Un homme de 43 ans s'est ainsi improvisé anesthésiste en photocopiant et falsifiant le diplôme de médecine algérien d'un ami, dont il a effacé le nom. Cet infirmier de formation a pu exercer dans divers hôpitaux comme anesthésiste-réanimateur de 2009 à 2016. 

L'examen des faits divers récents montre que les faux médecins disposent fréquemment d'une formation de soignant (auxiliaires médicaux notamment), qui leur permet de faire illusion. Ainsi ce pédicure-podologue de 49 ans, qui d’octobre 2012 à septembre 2013, a exercé dans deux EHPAD à Béligneux (Ain) et Échalas comme médecin coordonnateur. Dans les années 2000, c'est un infirmier qui s'était installé comme généraliste à Villeparisis pendant un an et demi. La carte professionnelle d'un confrère homonyme lui avait permis de se procurer des ordonnances. Et il n'existe aucun décompte de ceux qui ont commencé médecine et exercent, sans avoir jamais passé leur thèse. 

Prescriptions à l'aveugle

Formation soignante ou non, la question des diagnostics erronés et mauvais soins, et donc des dommages collatéraux, est posée dans ces affaires d'usurpation médicale révélées au grand jour. Dans le cas récent de Samantha Avril, les témoignages de malades abusés se sont accumulés et la fausse médecin serait passée à côté d'urgences vitales. Plusieurs patients ont déposé plainte.

Les victimes du pseudo-psychiatre à l'hôpital d'Évreux sont plus difficiles à évaluer. Ce faux-médecin assurait des gardes de 24 heures aux urgences psychiatriques et c'était son travail de tri qui déterminait si les malades étaient admis à l’hôpital. La médiatisation fugace de l'affaire explique en partie l'absence de plaintes. « Sur le peu d'échanges que j'ai eus avec lui, j'ai remarqué que les mots n'étaient pas à leur place, confie un psychiatre exerçant à l'hôpital de Navarre à l'époque des faits. Il m’apparaît clair aujourd'hui qu'il n'était pas en mesure de faire d'orientation diagnostique. Et si on lui demandait : pourquoi avez-vous prescrit cette molécule ? Il répondait à côté. Il prescrivait à l'aveugle. »

Défaut de vigilance

Pour passer entre les mailles du filet, à défaut de concours de médecine, il faut pour les escrocs un concours de circonstances. À Montceau-les-Mines, la vigilance de l'Ordre de Saône-et-Loire a été prise en défaut, sur la foi de documents transmis par voie numérique pendant le confinement. « Il était pourtant simple de s'assurer de l'authenticité du diplôme en consultant le site BIU Santé de l'Université Paris-Descartes », a taclé dans « Le Parisien » l'avocat de deux victimes déclarées de la fausse généraliste.

Le faux psychiatre d'Evreux n'a pas eu à passer par la case ordinale. Il était parvenu à se faire embaucher à l'hôpital sur la foi d’un faux diplôme européen (d'une Université roumaine) en tant que praticien attaché associé. 

Non-confraternité

Mais comment tromper la vigilance de l'équipe médicale ? « Même en cas de défaut d'aptitude médicale manifeste, un confrère isolé ne dira souvent rien », assure au « Quotidien » Hervé Laborde, directeur du groupe Filieris région Est. Le praticien pointe le risque de convocation par l'Ordre pour non-confraternité.« Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité, précise l'article 56 du code de déontologie. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l’intermédiaire du conseil départemental de l’Ordre. »  Une protection dont profitent souvent les faussaires, même en cas de soupçons répétés. 

Pour le psychiatre imaginaire d'Évreux, c'est surtout sa très grande discrétion qui l'a longtemps préservé. « Il était isolé, il ne participait pas aux échanges avec les autres psychiatres, c'était sa façon de cacher ses inaptitudes », relate un ancien « confrère ».

Samantha Avril a, de son côté, bénéficié d'une période particulière, la première vague de la pandémie de Covid 19, puis l'été. « Dans les centres de santé pluridisciplinaires, les praticiens se réunissent régulièrement autour de cas complexes. Les compétences médicales des uns et des autres sont alors au grand jour », expose Hervé Laborde. Or, de mai à septembre, ces échanges n'ont pas eu lieu, ou moins souvent, à cause de la crise sanitaire. C'est tout de même un généraliste qui a révélé la supercherie. Comme après un crash d'avion, le centre de santé Filieris assure que les leçons ont été tirées. « Aujourd'hui, affirme Hervé Laborde, on vérifie tout, des stages effectués à la soutenance de thèse, on va jusqu'à appeler le secrétariat de la faculté ! »


Source : Le Quotidien du médecin