Qualité des pratiques professionnelles

La certification périodique, révolution ou usine à gaz ?

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Publié le 08/04/2022
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La certification périodique pour les médecins devient obligatoire à compter de janvier 2023. À neuf mois de son entrée en vigueur, le chantier est loin d'être achevé. Référentiels, contrôle, gouvernance, financement : malgré la publication d'une ordonnance de cadrage, les représentants des médecins libéraux restent méfiants.

Congrès, DU, DPC… : la certification périodique réclamera un programme minimal d'actions tous les six ans

Congrès, DU, DPC… : la certification périodique réclamera un programme minimal d'actions tous les six ans
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Près de dix ans après l'entrée en vigueur du développement professionnel continu (DPC), une autre réforme de la formation au long cours entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2023. La loi de santé de 2019 a posé les bases de cette « certification périodique » dont le cadre a été précisé dans une ordonnance de juillet 2021. Pourtant, à neuf mois de son application, inquiétudes et crispations émergent, comme l'a montré une table ronde au 15e Congrès de la médecine générale.

Obligation « à la carte », tous les six ans

Sur le papier, l'objectif de cette réforme est de proposer à chaque profession concernée (médecin mais aussi chirurgien-dentiste, sage-femme, pharmacien, infirmier, kiné, pédicure-podologue) une procédure qui garantisse le « maintien des compétences », « la qualité des pratiques » et « l'actualisation et le niveau des connaissances ». Plus original, cette démarche de qualité durable vise l'amélioration de la relation avec les patients et la prise en compte de la « santé personnelle » des soignants, une fragilité bien documentée. 

Pour chaque profession ou spécialité, des référentiels conçus par les conseils nationaux professionnels compétents (CNP) définiront les actions possibles, selon une méthode proposée par la HAS. Une démarche qui se veut large, a rassuré le ministère de la Santé, lors du congrès de la médecine générale. « Toutes les actions menées au titre du DPC et de l'accréditation des spécialités à risque pourront être prises en compte au titre de la certification », illustre Éric Maurus, chargé de l'exercice et de la déontologie des professions de santé à la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Les praticiens seront libres de choisir, parmi les actions prévues aux référentiels, celles qui leur semblent les plus pertinentes. Seule contrainte : ils devront garantir, « au cours d'une période de six ans », avoir réalisé un « programme minimal » d'actions. Un régime dérogatoire a été prévu pour les professionnels déjà en exercice au 1er janvier 2023, qui auront neuf ans (2032) pour valider leur première certification

Sans surprise, le contrôle a été confié aux Ordres professionnels. Mais là encore, démine le ministère, pas question de « fliquer » la profession. « L'objectif est une logique pédagogique, d'amélioration et de maintien des connaissances. Nous ne sommes pas dans une volonté de contrôle tatillon », plaide la DGOS.

Trous dans la raquette 

Un Conseil national de la certification périodique fixera les orientations scientifiques de la démarche et vérifiera l'absence de lien d'intérêt des acteurs. Sa composition et son fonctionnement seront précisés par décret mais cette instance a déjà un président depuis décembre, en la personne du Pr Lionel Collet, médecin ORL et conseiller d’État. 

Si les inquiétudes de la profession pointent, c'est parce que les trous dans la raquette sont très nombreux à ce stade. Des décrets doivent définir les modalités de prise en compte des actions de certification, les conditions minimales pour remplir l'obligation (au risque de sanction disciplinaire), le choix de l’autorité qui gérera les comptes individuels pour tracer les efforts fournis (encadré), les modalités de financement, les exonérations ou encore la situation des praticiens salariés. Autant de sujets qui donneront la couleur de cette réforme. « Beaucoup de choses restent à faire », euphémise Éric Maurus.  

Palace ou cabane en bois ?

Sans condamner le principe de la certification périodique, plusieurs syndicats de médecins libéraux affichent leurs inquiétudes face au risque de mécanisme « complexe »« administratif », voire de « nouvelle usine à gaz ». « Les objectifs annoncés sur la qualité des pratiques sont beaux mais la réalisation paraît difficile à mettre en œuvre », pointe le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Et d'interroger : « Comment mesure-t-on l'actualisation des connaissances, la relation avec les patients ? À qui fait-on appel ? » 

Le financement et l'indemnisation des professionnels préoccupent fortement, faute de garanties. « Le chiffrage se fera dans un deuxième temps, évacue Éric Maurus, au nom du ministère. Qui doit payer ? Quels sont les éléments à la charge des professionnels ? C'est un point important qui n'est pas encore discuté ». Pas de quoi rassurer les syndicats, douchés par l'expérience du développement professionnel continu (DPC). « L’agence nationale du DPC ne prend en charge que 21 heures, c'est bien en dessous de toutes les références européennes où on est plutôt sur cinq à sept jours », explique le Dr Jean-Paul Ortiz, ex-président de la CSMF. « Va-t-on construire une cabane en bois ou un palace ? On ne sait pas encore », ironise la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF.

Garder la main

Pour éviter que la certification périodique devienne une démarche subie, les syndicats veulent que la profession soit solidement représentée aux différentes étapes, y compris dans la gouvernance. Or, « il y a un seul représentant de la commission "médecins" prévu dans le conseil national pour l'ensemble des spécialités. Si ce n'est pas un généraliste, cela va être compliqué… », alerte le Dr Jean-Paul Ortiz. MG France craint aussi cette dilution. « On a voulu construire, comme pour le DPC, un dispositif global avec l'ensemble des professions. On doit rester très vigilants », pointe le Dr Battistoni. 

Interrogé par « Le Quotidien », le Pr Olivier Goëau-Brissonnière, président de la Fédération des spécialités médicales (FSM, qui regroupe les CNP de spécialité hors médecine générale), veut croire que ce dispositif sera refondateur. Avantage à ses yeux, « il est souple » car « on demandera aux médecins de faire ce qu'ils font habituellement, comme aller aux congrès, suivre des DU ou lire des registres de pratiques. »

* L'ordonnance définit quatre blocs d'actions : actualisation des connaissances et des compétences ; amélioration de la qualité des pratiques professionnelles ; amélioration de la relation patient ; prise en compte de sa propre santé individuelle par le professionnel

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin