Éclairage de la neurobiologie sur l’empathie

La médecine à fleur de peau

Publié le 14/10/2010
Article réservé aux abonnés

NON, L’EMPATHIE n’est pas passée à la trappe en médecine. Rien ne semble la remplacer, pas même les nouvelles technologies. C’est le constat fait par une psychiatre de Boston, le Dr Helen Riess, à la lumière des découvertes en neurobiologie. L’empathie n’est pas qu’une qualité « morale », elle a des effets tangibles sur la physiologie… du médecin et du malade !

Entre les deux protagonistes, le « courant » passe ou non, tel que l’ont mis en évidence des études au cours de séances de psychothérapie. Ainsi, d’après l’analyse des réponses du système autonome, les deux acteurs sont hautement réactifs l’un envers l’autre. L’intensité des affects « transpire » le mieux au niveau de la peau. En effet, la conductivité cutanée reflète au mieux la concordance ou la discordance entre les deux acteurs. Un malaise non-dit a ainsi pu être mis à jour chez une participante ayant adopté depuis l’enfance la boulimie plutôt que la parole pour se défendre contre l’anxiété. Elle avait trois fois plus de « décharges » autonomes que le médecin !

Mais ce n’est pas tout, la neuroanatomie va plus loin encore pour la peau. Il semble bien, en effet, que la proximité géographique de l’intégration de certains signaux explique beaucoup de choses. Tout particulièrement au niveau du cortex cingulaire antérieur. Cette région du cerveau est au cœur du traitement des stimulus affectifs et du contrôle de la biorégulation… comme la fameuse conductivité cutanée mais aussi la nociception et la représentation de la sensibilité somatique et viscérale.

Altruiste sans se mettre en danger.

Chez les amoureux transis, le « je souffre avec toi » ne semble pas qu’une figure de style. À l’IRM, la même zone cérébrale au niveau du cortex cingulaire antérieur s’allumait chez l’un d’eux qu’il reçoive de mini-décharges électriques au niveau du doigt ou qu’il voit sa moitié subir ce traitement. À noter que s’il s’agissait d’un troisième larron, la douleur était ressentie de manière atténuée. La psychiatre suggère que ce mécanisme de protection permettrait d’être à l’écoute sans être envahi à son tour par la détresse d’autrui. Être altruiste sans se mettre en danger soi-même pourrait être l’un des facteurs déterminants dans le choix d’une carrière médicale.

L’empathie semble de plus pouvoir être modulée. Ainsi, on a pu constater qu’elle décline dès la troisième année des études de médecine. Sans doute les raisons en sont multiples, mais il est intéressant de noter à l’IRM que des médecins face à des individus piqués par une aiguille inhibent des circuits neuronaux impliqués dans l’intégration de la douleur. Sans ce mécanisme « soupape », l’exposition permanente à la douleur d’autrui conduit en effet à la dépression et au « burn-out ». À l’inverse, des médecins égoïstes et peu enclins à s’attendrir ne semblent pas « blindés » ou plus forts. Le manque d’empathie semble aussi délétère, puisque dans 60% des cas ils souffrent alors d’insatisfaction professionnelle, d’abandon de carrière, d’addictions, voire se suicident. En miroir, les patients ont moins confiance en leur médecin et sont plus mécontents des soins prodigués. Entre trop ou pas assez, l’empathie en médecine est à manier avec subtilité. Quel dommage qu’elle ne soit pas enseignée à la faculté…

JAMA, volume 304, numéro 14, 13 octobre 2010.

Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8836