Regards de médecins sur une crise inédite

Le choc du Covid-19 raconté par trois jeunes généralistes

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Publié le 29/05/2020
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Capacité d'adaptation des cabinets libéraux, solidarité entre soignants mais aussi dysfonctionnements : dans une note publiée par Terra Nova, trois généralistes de ReAGJIR témoignent et tirent les premières leçons de la crise sanitaire en ville.

Comment la médecine de ville a-t-elle vécu la crise sanitaire ? Pour y voir plus clair, le think tank Terra Nova, proche du PS, a interrogé trois jeunes femmes médecins* membres du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) dans le cadre des contributions « Coronavirus : regards sur une crise ».

Le caractère « inédit » de l'épidémie est apparu rapidement (fin février) en médecine de ville avec des signaux d'alerte multiples : des patients ne présentant pas de signes de gravité lors d'une première consultation pour ce qui est perçu comme un syndrome grippal mais dont l'état se dégrade brutalement ; augmentation des transferts aux urgences ; symptomatique « peu claire » compliquant l'identification des patients contaminés ou non...

Mais jusqu'au passage au stade 3 de l'épidémie, les généralistes resteront « dans le flou avec des indications très parcellaires sur le changement de doctrine à appliquer à leur échelle », pointe la note. « Le principe de précaution » fait office de ligne directrice « en l'absence de concertation nationale avec les professionnels de ville, sans définition des signes de gravité des malades, des parcours de soins établis, sans protocole à suivre ». Les jeunes MG constatent un manque d'organisation verticale en médecine de ville. 

À l’instar de tous les soignants libéraux, les trois généralistes rapportent surtout le constat « unanime » de stocks de matériels insuffisants pour se protéger et protéger les patients. D'où la débrouille, la mutualisation d'équipement, le recours aux dons, l'emploi de masques périmés... Et parfois un sentiment d'abandon. « Ce manque a fait peser un risque sur la santé des soignants et de leurs patients mais aussi sur la continuité de l'activité en cabinet (...). Les médecins de ville ont dû opérer une hiérarchisation des utilisations prioritaires de matériel, et avoir recours au système D », peut-on lire.

Créativité maximale

Faute de directive claire au début, la crise va accroître la capacité d'innovation et d'adaptation à tous les étages. « Les médecins de ville, dès début mars, s’organisent spontanément à l’échelle de leur territoire », expliquent les jeunes généralistes avant même les instructions officielles (réorganisation des cabinets, définition des patients à risque, établissement d’arrêts de travail).

Autre leçon : la complémentarité révélée en temps réel entre la ville et l'hôpital pour surmonter le choc. « De la création de centres Covid-19, hôpitaux de guerre dans l’hôpital, à celle de nouveaux circuits ambulatoires pour prendre en charge plus rapidement des patients suspects ou atteints de Covid-19, des réunions régulières avec des infectiologues (...) la crise permet d’innover en œuvrant à la création d’un bouclier sanitaire », analysent les jeunes généralistes. 

In fine, l'épidémie aura permis la « réorganisation du système de soins ambulatoire » et un renforcement du lien ville/hôpital, saluent les généralistes. Et de citer les listes de coordonnées directes entre professionnels pour solliciter des avis croisés, les circuits d'hospitalisation Covid et non Covid ou des guides d'aide au suivi de patients contaminés. Un décloisonnement que les jeunes espèrent pérenniser. 

Pour les cabinets libéraux, la baisse brutale d'activité a été un autre choc (-40 à 50 % en médecine générale et des spécialités parfois à l'arrêt). Avec une menace de santé publique. « Les généralistes sont inquiets des effets secondaires du confinement et des risques qui se dessinent (...) On peut donc craindre une seconde vague de décès pour d'autres causes que le coronavirus. »

Sur la relation médecin/malade, la séquence marquera aussi. Explosion de l'activité à distance qui « peut montrer certaines limites » mais aussi « anxiété importante chez tous les patients » ou encore propagation de fake news obligeant les médecins à faire un « travail de filtrage de l'information et de mise en garde. »   

* Les Drs Laure Dominjon, généraliste en centre de santé dans le Val-de-Marne, Barbara Trailin, généraliste en cabinet de groupe à la Chapelle d'Armentières (Nord) et Caroline Monteragioni, généraliste en maison de santé pluriprofessionnelle à Nancy (Meurthe-et-Moselle).

Marie Foult et Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du médecin