Marisol Touraine récuse les critiques d’étatisation de la médecine libérale

« Nous sommes à un carrefour pour le système de santé »

Publié le 12/12/2013
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Un an après son « pacte » contre les déserts médicaux, la ministre de la Santé estime avoir fait bouger les lignes, sans employer la contrainte, avec 370 maisons de santé, 170 praticiens territoriaux de médecine générale et le renforcement de l’accès aux soins d’urgence. Dans un entretien au « Quotidien », Marisol Touraine calme le jeu avec les praticiens libéraux à trois mois des municipales. Elle salue la « belle étape » du lancement du contrat d’accès aux soins et estime que la « discipline tarifaire s’opère ». Elle récuse les critiques d’étatisation, promet la relance d’un DMP recentré, garantit un tiers payant obligatoire « simple et sécurisé » et n’exclut pas l’extension du médecin traitant au moins de 16 ans, projet « sur la table ».

LE QUOTIDIEN - Il y a un an, jour pour jour, vous annonciez votre pacte territoire santé de lutte contre les déserts médicaux. Les choses ont-elles avancé au rythme espéré ?

MARISOL TOURAINE – Le bilan est très positif. Dès janvier, je dresserai un état des lieux précis qui fera apparaître l’impact des mesures prises. Je présenterai ainsi des « cartes » pour qu’on mesure concrètement les endroits où il n’y avait rien avant le « pacte territoire santé » et où il y a maintenant des maisons de santé, où il n’y avait plus de médecin et où il y a maintenant des praticiens territoriaux de médecine générale [PTMG].

Je vous donne quelques exemples. En 18 mois, j’ai doublé le nombre de maisons de santé pour atteindre le nombre de 370 ; elles correspondent à de vrais projets de santé, et non de simples projets immobiliers ! Demain, je serai justement dans le Loir-et-Cher, à Contres, pour l’inauguration d’une maison de santé.

De même, nous avons engrangé plus de 170 signatures de PTMG, et nous devrions atteindre l’objectif fixé de 200 cette année, ce qui prouve que cette mesure répond à un besoin. Les jeunes femmes notamment vont bénéficier d’une couverture sociale améliorée dans le cadre de ce dispositif.

J’avance aussi sur la question de l’accès aux soins d’urgence. Le bilan de chaque territoire a été réalisé, nous allons déployer cinq nouveaux SMUR et 430 médecins libéraux correspondants du SAMU.

Dernier exemple : il y a un an, les médecins installés, ou jeunes sur le point de s’installer, se demandaient si j’allais agir par la contrainte. Ce débat est derrière nous !

Il n’empêche que certains élus ou représentants d’usagers pensent toujours que ces mesures sont cosmétiques…

J’entends leurs critiques mais je fais bouger les lignes. La réalité, c’est que des professionnels libéraux s’installent là où il n’y en avait plus. Et je travaille en confiance avec les médecins sur ce sujet.

Dans ce plan était programmée la rémunération du travail en équipe. Ne regrettez-vous pas le temps perdu ?

La négociation va maintenant s’engager très vite. 2014 doit être l’année de la généralisation des nouvelles rémunérations, après les années d’expérimentation nécessaires.

Je ne veux pas préjuger des modalités. C’est le directeur général de l’UNCAM qui est responsable de la négociation. Mais il faudra valoriser le travail des soignants en équipe, la coopération, la coordination dès lors qu’elle est utile au patient. Par exemple, certaines équipes, qui étaient dans le champ des expérimentations, ont décidé de recruter des professionnels administratifs, une diététicienne…

Quant aux moyens, je veux rappeler que dans le PLFSS, j’ai dégagé 20 millions d’euros, non pas en tout, mais en plus des sommes déjà engagées pour ces rémunérations. On sera nettement au-delà des 200 millions d’euros.

TIERS PAYANT GENERALISÉ: JE N’IGNORE PAS L’AMPLEUR DU TRAVAIL TECHNIQUE

Etes-vous pleinement satisfaite du lancement au 1er décembre du contrat d’accès aux soins visant à modérer les dépassements d’honoraires?

C’est une belle étape ! Elle permettra de concrétiser, pour les Français comme pour les médecins, l’accord conventionnel. Notez que les médecins adhérant au contrat d’accès aux soins bénéficient en moyenne d’allégements de cotisations sociales à hauteur de 4 300 euros par an ! Pour les patients, ce sera la garantie d’une meilleure couverture puisque la Sécurité sociale remboursera une consultation spécialisée sur la base de 28 euros et non pas 23 euros.

Enfin, je me réjouis que les honoraires « abusifs » aient déjà diminué. Les dépassements ont, en moyenne, diminué, de 1 à 2 %. Il y a une discipline tarifaire qui s’opère. Je fais le pari de l’autorégulation, nous sommes sur la bonne voie et le changement est clairement amorcé.

L’engagement des organismes complémentaires sur ce dossier est-il suffisant ?

D’abord, je rappelle que les complémentaires s’étaient engagées sur le financement du forfait pour les médecins traitants. N’oublions pas ce volet de l’accord sur la revalorisation des tarifs de secteur I qui a été mis en œuvre.

Ensuite, l’étape des contrats « responsables et solidaires » est devant nous, puisque nous allons redéfinir, au début de 2014, le contenu de ces contrats ainsi labellisés. Je souhaite d’une part qu’ils offrent un minimum de garanties (qualité et niveau de prise en charge), et d’autre part qu’ils régulent les tarifs pratiqués (sur l’optique, le dentaire et le niveau de dépassement). Il n’y aura pas d’encouragement à l’inflation des prix.

La prise en charge intégrale des dépassements du contrat d’accès aux soins fera-t-elle partie du cahier des charges des contrats responsables ?

Franchement, il serait incompréhensible qu’il n’y ait aucun lien entre ce qui a été signé dans l’accord conventionnel et la définition du contrat responsable et solidaire.

À quel niveau faut-il plafonner la prise en charge? C’est encore ouvert. D’un côté, nous ne devons pas encourager les dépassements d’honoraires par leur solvabilisation mais, dans le même temps, nous ne devons pas ouvrir la porte à la multiplication des« surcomplémentaires ». Je serai attentive aux propositions de la profession.

Vous programmez une loi de santé l’an prochain. Après les forums régionaux pédagogiques, comment allez-vous procéder ? Quelles seront les têtes de chapitre de cette loi ?

La loi de stratégie nationale de santé s’articulera autour des trois orientations que j’ai fixées : la prévention, avec des objectifs chiffrés pour les priorités de santé publique ; ensuite, une réorganisation de l’offre de soins à partir de ce que j’appelle la « révolution du premier recours », c’est-à-dire la valorisation du rôle des professionnels en ambulatoire dans le cadre de parcours de santé, par exemple autour du patient vieillissant ou chronique ; enfin, une nouvelle étape de démocratie sanitaire avec des droits collectifs, comme les actions de groupe, la place accrue des patients dans les établissements… Certaines pierres sont déjà posées, par exemple pour l’information du public : le nouveau site sur les médicaments a ainsi reçu près de 1,5 million de connexions. Le site de la HAS qui compare les établissements de santé s’inscrit aussi dans cette démarche.

Nous devons imaginer sans tabou de nouveaux parcours, de nouveaux métiers de santé et de nouvelles fonctions justement rémunérées.

Les forums régionaux se termineront fin février. Je restituerai mi-avril les enseignements des débats et je présenterai les grandes orientations de cette loi. Je souhaite qu’elle soit prête à la fin du premier semestre 2014.

Après le départ de Jean-Yves Robin de la tête de l’ASIP-Santé, comment comptez-vous relancer le DMP qui ne décolle pas ?

Nous entrons dans une nouvelle étape du déploiement. Un nouvel élan va être donné. Beaucoup de temps a été perdu, des moyens et des énergies ont été gaspillés. Je ne veux pas tout reprendre de zéro, tout balayer, ce serait absurde. Mais le DMP va s’inscrire clairement dans la stratégie nationale de santé.

Le DMP « de deuxième génération » va se concentrer en priorité sur les personnes âgées et atteintes de pathologies chroniques. Il faut donner un caractère plus systématique à cet outil d’échange d’informations, les médecins y sont prêts. J’ai visité des établissements, à Lyon par exemple, où cela marche très bien ! La messagerie sécurisée n’est qu’une étape. Quant au successeur de Jean-Yves Robin, son recrutement est en cours.

Un collectif de médecins appelle à une semaine de grève en mars pour défendre l’exercice libéral. Les revendications tarifaires, dont le C à 25 euros ressurgissent. Redoutez-vous un printemps agité chez les médecins?

Je suis très attentive à l’état d’esprit des médecins et des autres professionnels de santé. Certaines inquiétudes n’ont pas lieu d’être. Parler d’étatisation de la médecine alors que je lance la révolution du premier recours, qui s’appuie justement sur les professionnels libéraux, me paraît infondé.

Par ailleurs, certaines revalorisations ont déjà eu lieu, notamment dans le cadre de l’avenant n°8. Plutôt que de revaloriser des actes, le choix que j’ai fait a été de valoriser des pratiques, avec le forfait annuel de 5 euros pour le médecin traitant, la rémunération sur objectifs de santé publique ou du travail en équipe. Nous sommes à un carrefour pour l’évolution du système de santé. Cela génère nécessairement des inquiétudes et beaucoup d’attentes, de la part des jeunes notamment, qui n’imaginent pas travailler comme leurs aînés.

Mais la valeur de l’acte médical est-elle suffisamment attractive pour convaincre des jeunes d’embrasser ce métier ?

Nous ne pouvons pas dire que nous souffrons d’une crise du recrutement ! J’entends surtout les inquiétudes face à l’évolution du métier, notamment autour de la coopération qui n’allait pas de soi. Elle était jusqu’alors informelle. Elle va devoir se renforcer. Tous ces changements sont une opportunité. Mais au-delà, je suis très attentive aux demandes des jeunes. Par exemple j’ai souhaité renforcer, dans le PLFSS, la protection sociale des femmes médecins, celles qui attendent un enfant, qui bénéficieront désormais d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail pour une grossesse difficile.

PLUTÔT QUE DE REVALORISER DES ACTES, LE CHOIX QUE J’AI FAIT A ÉTÉ DE VALORISER DES PRATIQUES

Au congrès de MG France, vous avez ouvert la porte à l’extension du médecin traitant aux moins de 16 ans. Quel est votre projet ?

Cela est sur la table. J’ai effectivement indiqué que parmi les priorités de santé publique, il y a celle de la santé des jeunes, depuis l’enfance jusqu’à l’entrée à l’âge adulte. J’ai entendu la préoccupation de ceux qui demandent un médecin traitant pour les moins de 16 ans, généraliste ou pédiatre. Aujourd’hui, les enfants sont relativement bien suivis, même s’il y a encore des inégalités sociales fortes. Je souhaite aussi assurer l’articulation avec l’école qui doit être un lieu d’apprentissage de bonnes pratiques et de dépistage des difficultés. C’est ça la stratégie nationale de santé.

La généralisation obligatoire du tiers payant en ville à l’horizon 2017 inquiète les médecins libéraux. Quelles garanties pouvez-vous apporter ?

Tout fera l’objet de concertations. Je n’ignore pas l’ampleur du travail technique : il existe un grand nombre d’organismes complémentaires, et se pose également le problème de la récupération des franchises. Je serai très exigeante. Il faut un système naturel et facile, un système sécurisé pour les médecins et simple pour les patients. Les médecins trouvent parfois que leur relation avec l’assurance-maladie n’est pas assez fluide. L’idée n’est pas de leur compliquer la vie, mais de faciliter l’accès aux soins des patients. Nous sommes l’un des rares pays européens ne disposant pas de tiers payant. Nous devons obligatoirement le mettre en œuvre, parce qu’ il vient un moment où on ne peut pas demander de la simplicité, et multiplier les situations particulières et les cas d’espèces. Le tiers payant est d’ailleurs une recommandation de l’organisation mondiale de la santé.

DMP: BEAUCOUP DE TEMPS A ÉTÉ PERDU, DES MOYENS ET DES ÉNERGIES ONT ÉTÉ GASPILLÉES

Plusieurs associations de formation en médecine générale mettent en cause le pilotage du DPC et le blocage de l’indemnisation. Faites-vous toujours confiance au système actuel?

Tirer un trait sur ce qui a été accompli n’est jamais satisfaisant, mais je n’hésiterai pas à le faire si c’est nécessaire. Car il faut avancer maintenant ! Plusieurs ajustements ont été apportés depuis mon arrivée aux responsabilités, certains sur la base des préconisations des professionnels eux-mêmes. Le DPC ne marche pas aussi bien qu’on pourrait le souhaiter. Cette situation ne pourra pas durer éternellement. Nous arrivons à un moment de vérité. Je ne prendrai pas seule la décision et je le ferai au regard des expertises et du rapport de l’IGAS qui me sera rendu.

La proposition de loi sur les réseaux de soins mutualistes revient lundi à l’Assemblée. Que répondez-vous aux professionnels qui redoutent une perte de liberté de choix ?

Ces débats sont derrière nous. Au Sénat, des évolutions du texte ont permis de répondre aux inquiétudes des médecins. Nous avons un texte qui doit permettre de rassembler et d’aller de l’avant. Nous avons trouvé un juste équilibre et je souhaite qu’il soit respecté.

Quelle part allez-vous prendre dans la campagne municipale ?

J’entends être présente dans cette campagne, soutenir des candidats, répondre aux interrogations de nos concitoyens. Je serai active comme tout responsable politique doit l’être, tout en établissant une frontière entre mes activités ministérielles et mon activité de campagne.

PROPOS RECUEILLIS PAR CYRILLE DUPUIS ET CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 9288