Pr Hubert Allemand (CNAM) : « Nous avons enclenché une dynamique favorable »

Publié le 15/04/2013
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Quel bilan tirez-vous, un an après, de la rémunération sur objectifs de santé publique ? L’engagement des médecins est-il à la hauteur de vos espérances ?

PR HUBERT ALLEMAND - Le résultat global est plutôt satisfaisant. D’abord parce que le dispositif que nous avons conçu est bien équilibré. Le taux de réalisation des objectifs est d’environ 50 %, avec une majorité de médecins autour de la moyenne. Cela veut dire que cette rémunération sur objectifs n’était pas un effet d’aubaine. Les médecins doivent s’engager pour obtenir des résultats ! Et la marge de manœuvre reste considérable. Les Anglais, eux, avaient mal calibré leur système : les médecins avaient été rémunérés sans beaucoup modifier leurs pratiques et la qualité des soins. Là, ce n’est pas le cas. On n’est ni trop exigeant, ni pas assez...

Le principal résultat de la ROSP, n’est-ce pas l’informatisation rapide des cabinets médicaux ?

On constate une fantastique accélération de la modernisation des cabinets médicaux. Trois quarts des généralistes ont un logiciel métier et peuvent avoir un dossier médical informatisé. Et deux tiers ont un logiciel d’aide à la prescription. Début 2012, seuls deux logiciels étaient certifiés par la HAS. Fin 2012, 26 le sont ! La ROSP a permis une réelle montée en charge de ces logiciels.

L’utilisation des téléservices (médecin traitant, arrêts de travail, protocoles...) a été multipliée par trois dans l’année. Derrière cette réorganisation du cabinet, il y a une qualité de l’ensemble des soins qui progresse. Chez les spécialistes, le paysage est plus contrasté, toutes les disciplines ne sont pas informatisées de la même manière.

Sur le suivi des patients diabétiques, l’amélioration est nette pour le dosage de l’hémoglobine glyquée et la couverture des facteurs de risque cardiovasculaire par les statines. Mais on reste loin des objectifs cible...

Sur le suivi du diabète, on constate une amélioration de tous les indicateurs sauf le suivi ophtalmologique, sans doute pour des raisons d’organisation. En matière de dosage de l’hémoglobine glyquée, on progresse mais, c’est vrai, on est encore loin du compte ! Se dire que la moitié seulement des diabétiques sont bien suivis biologiquement pour leur glycémie n’est pas satisfaisant. Mais on avance pas à pas. Depuis 2009, 300 000 diabétiques sont mieux suivis. S’agissant des statines pour les diabétiques à haut risque cardiovasculaire, la progression a permis une meilleure prise en charge pour 140 000 patients. Ce n’est pas rien.

Sur la prévention, le bilan est très contrasté, voire insuffisant concernant la vaccination contre la grippe saisonnière et le dépistage du cancer du col de l’utérus et du cancer du sein... Comment l’expliquez-vous ?

Les résultats, effectivement, ne sont pas à la hauteur sur la grippe et les dépistages. Mais il faut tenir compte du contexte de vaccination. La pandémie H1N1 a laissé des traces, on a du mal à retrouver les étiages antérieurs. Sur le dépistage du cancer du sein, c’est pareil. On a un questionnement récurrent sur l’intérêt du dépistage, sur le risque de surdiagnostic. Le contexte n’a pas été porteur. Les objectifs cibles sont élevés car on a repris les chiffres de la loi de santé publique de 2004. Enfin, pour le cancer du col de l’utérus, n’oublions pas que le dépistage se fait tous les trois ans. Or, on a une seule année de recul.

Certains indicateurs vont dans le bon sens : c’est le cas des traitements par benzodiazépines à demi-vie longue pour les plus de 65 ans. On a 280 000 personnes âgées qui ont cessé de les consommer depuis 2009. On a aussi baissé de 3 % la prescription d’antibiotiques pour les 16/65 ans sans ALD. C’est très encourageant.

Les résultats de prescription en génériques restent décevants. Pourquoi ?

Il y a quand même plusieurs points positifs : IPP, statines et antihypertenseurs. Cela s’explique aussi par l’élargissement du répertoire. Le Tahor tombant dans le domaine public, cela a aidé. Cela dit, on est à 54 % de prescription de statines dans le répertoire, ce n’est pas un score énorme quand l’Allemagne ou l’Angleterre sont à plus de 90 %. Sur les antidépresseurs, on a beaucoup de marge d’efficience.

Sur les taux de génériques, on va utiliser les résultats de l’année 2012 comme un nouveau point de départ.

Quelles sont maintenant les priorités ? Y aura-t-il de nouveaux indicateurs de la ROSP, des aménagements ?

L’objectif premier, c’est de stabiliser le système car nous avons de grosses marges de progrès sur les indicateurs actuels. Cela dit, il n’est pas exclu de faire bouger certains items concernant le suivi des diabétiques, par exemple, au regard des recommandations. On pourrait aussi élargir les objectifs sur les antibiotiques aux jeunes ou aux personnes âgées. Faut-il par ailleurs que 50 % des hommes de plus de 75 ans aient un dépistage par le PSA ?

Quant aux actions nouvelles, on envisage des opérations ponctuelles, régionales ou locales, avec les professionnels, pour améliorer certains résultats décevants. Les pratiques restent très hétérogènes. Par exemple, je suis frappé de voir que sur les dosages de l’hémoglobine glyquée, certains départements ont stagné, comme Paris, ou même régressé ! On va mobiliser nos caisses primaires et nos délégués d’assurance-maladie.

Le P4P s’étend à de nouvelles spécialités... Ce système va-t-il remplacer à terme le paiement à l’acte ?

Les cardiologues seront rémunérés dans quelques semaines. Les gastro-entérologues démarrent. Et je constate une forte pression des autres spécialités pour intégrer la rémunération sur objectifs... Mais ce n’est pas si simple car on a moins d’expérience internationale que pour les soins de premier recours.

Au fond, nous avons construit un système vertueux. On revalorise en moyenne les honoraires de 3 % mais en favorisant les médecins qui ont les pratiques les plus performantes ou qui modifient leur comportement. A terme, ce troisième pilier de la rémunération pourrait représenter 20 % des honoraires. Nous avons enclenché une dynamique favorable qui fera bouger l’ensemble des professionnels. C’est tout l’enjeu.  


Source : Le Quotidien du Médecin: 9234