« Les médecins sont moins bien rémunérés que les coiffeurs »

25 euros pour la consultation chez le généraliste en secteur I (1), contre plus ou moins 30 euros pour la plus basique des coupes chez un coiffeur standard à Paris. La comparaison revient de manière récurrente chez les médecins, par exemple dans les commentaires sous les articles du Quotidien (voir ici ou là). Elle est même devenue l'un des symboles du manque de reconnaissance dont souffre la profession. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est pertinente, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, la structure des coûts d'un salon de coiffure n'a pas grand-chose à voir avec celle d'un cabinet de médecine générale. « Le salon de coiffure a beaucoup plus de consommations intermédiaires, de salariés, etc. : la marge du généraliste va s'établir autour de 50 %, tandis que celle du coiffeur sera inférieure à 10 % », estime Christophe Marques, économiste au sein du cabinet de conseil Asterès.

Autre différence de taille : pour vivre, le coiffeur ne peut compter que sur ce que va lui payer son client. Ce n'est pas le cas du médecin, qui en plus du prix de la consultation, a d'autres sources de revenus : Rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), forfait médecin traitant, forfait structure, majoration personnes âgées… La valeur du G est donc loin d'être un bon indicateur du niveau de revenu des médecins.

Coiffeurs ou cadres supérieurs ?

D'ailleurs, lorsqu'on compare non pas les prix, mais les revenus annuels, les différences sont de taille. Dans un rapport sur les revenus des non-salariés, l'INSEE classait en 2015 les coiffeurs parmi les professionnels les moins bien payés (revenu d'activité mensuel net moyen de 1 050 euros), alors que les médecins se situaient tout en haut de l'échelle (revenu d'activité mensuel net moyen de 8 000 euros). Il est vrai que ces statistiques concernent beaucoup de coiffeurs à domicile, souvent auto-entrepreneurs et précaires.

En réalité, les généralistes devraient davantage être comparés avec les cadres supérieurs qu'avec les coiffeurs. Dans une étude parue début 2016, l'économiste de la santé Brigitte Dormont (dont les relations avec la profession sont certes très difficiles) comparait avec sa collègue Anne-Laure Samson les revenus de ces deux catégories sur l'ensemble de la carrière, en prenant en compte la longueur des études. Résultat : « Les médecins généralistes n’ont rien à envier aux cadres supérieurs. Pour les femmes, le retour sur investissement des études médicales est même supérieur à celui d’un cursus grande école. »

Alors, faut-il abandonner toute idée de comparaison entre les revenus des médecins et ceux des coiffeurs ? Pas pour Jean de Kervasdoué, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du Conservatoire national des arts et métiers. Ce dernier, qui revendique la paternité de ce rapprochement qu'il a effectué dans un livre publié en 2014 (2), affirme que « contrairement à ce qu'on apprend à l’école, on ne compare généralement que des choses qui ne sont pas comparables », et que le match médecins-coiffeurs « donne une idée ». Une idée, mais pas forcément une idée juste.

(1) La consultation est cotée 25 euros pour les généralistes exerçant en secteur I et ceux exerçant en secteur II et ayant signé l'OPTAM, soit environ 97 % des généralistes.

(2) « Le revenu des professions de santé », Economica, 2014