En août 2020, Yolande Gabriel, 65 ans, était décédée à son domicile, après avoir attendu les secours de Seine-et-Marne pendant près d’une heure et demie. Accusé de négligence par la famille de la victime, le Samu du département est désormais visé par une enquête. Un juge d'instruction a été nommé le 10 juin pour enquêter sur les causes de la mort de la patiente.
Dans la nuit du 21 août 2020, vers 3h30 du matin, Yolande Gabriel, une retraitée martiniquaise, est invitée à quitter le service des urgences de l'hôpital de Meaux pour regagner son domicile. Depuis quelques semaines, la santé de cette ancienne aide-soignante s'est dégradée, les passages à l'hôpital se sont enchaînés et on lui a diagnostiqué une myocardite.
« Mais putain, parlez dans le téléphone ! »
Quelques heures après son retour à domicile, vers 7h30, elle appelle le Samu pour signaler la reprise des douleurs thoraciques et une gêne respiratoire. Au téléphone, le médecin régulateur parle d'abord calmement avec elle des symptômes avant de se montrer agacé, selon les enregistrements audios révélés par « Mediapart ».
« Madame, faut vous calmer, vous n'avez pas 36 000 médicaments à prendre. Et vous ne savez pas quels médicaments vous prenez ? », demande le médecin, à la patiente qui peine à s'exprimer et semble en souffrance. « Mais putain, parlez dans le téléphone ! », lance-t-il, exaspéré.
Yolande Gabriel, 65 ans, est décédée après avoir attendu les secours plus d’1h. Pendant son appel au 15, elle a été méprisée et ses souffrances ont été minimisées. Sa fille s’interroge sur d’éventuels préjugés racistes.
— David Perrotin (@davidperrotin) May 31, 2022
Enquête vidéo avec @p_pascariello pic.twitter.com/BsFU1SLCMk
Le médecin décide l'envoi d'une ambulance privée au domicile familial pour ramener Yolande Gabriel aux urgences. Mais avant son arrivée, la patiente s'effondre. « Elle était inerte sur le sol de la cuisine. Elle est passée par tous les stades de l'agonie », s'émeut Marie-Laure François, l'une de ses filles. Ses filles rappellent le Samu et entament un massage cardiaque. Arrivées à partir de 8h40, les équipes médicales prennent le relais sur place, en vain.
L'affaire Musenga dans les mémoires
Pour la famille, la décision de la renvoyer à son domicile dans la nuit est incompréhensible et une intervention plus rapide à la maison aurait permis d'éviter le pire. En octobre 2021, ils portent plainte pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours ». « On ne comprend pas qu'un médecin qui a prêté serment, censé soigner les gens, ait pu parler comme ça à maman alors qu'elle était en train de mourir », s'emporte Marie-Laure François.
Retard de prise en charge, soupçons de propos méprisants : cette affaire n’est pas sans rappeler celle de Naomi Musenga, jeune femme décédée en 2017. Les filles de Yolande Gabriel s’interrogent sur de possibles biais racistes du Samu, alors que leur mère avait un accent martiniquais. « Il ne faut pas se voiler la face, il y a quelque chose qui s’appelle le syndrome méditerranéen, avançait Marie-Laure à Mediapart. Certains médecins pensent que dès qu’on est d’origine africaine, caribéenne ou maghrébine, on a tendance à exagérer la douleur. »
Exaspération injustifiée
Contacté par Mediapart, le chef du Samu de Seine-et-Marne, le Dr François Dolveck, a assuré que « la prise en charge téléphonique par l'ARM (assistant de régulation médicale, NDLR) puis le médecin a permis un interrogatoire minutieux et prolongé. Malgré quelques signes exprimés d'exaspération injustifiée du médecin, qu'il regrette, la continuité de la prise en charge n'en a pas été affectée. »
« Les "process" de décisions et la prise en charge de Mme Yolande Gabriel semblent cohérents et présentent une vraie continuité », avait ajouté le Dr Dolveck, réfutant tout préjugés racistes.
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