La situation peut être bouleversante, incompréhensible. Et pourtant, « statistiquement, chaque médecin recevra au moins une plainte ordinale au cours de sa carrière », a alerté le Dr Henri Dieulangard, président de l'Ordre des médecins de la Vienne, lors d’un atelier organisé par le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir).
Recevoir une plainte d’un patient mécontent, c’est ce qui est arrivé à Cécile au tout début de son exercice. En août 2020, la jeune généraliste installée dans la Vienne apprend par un simple coup de téléphone que la fille de l’un de ses patients souhaite lancer une procédure contre elle pour manque de professionnalisme. « Ça fait très bizarre, je n’ai pas du tout compris », raconte la praticienne, encore émue.
« Anéantie »
Alors qu’elle exerce dans une zone « très déficitaire » et frôle les 5 000 consultations par an, Cécile prend en charge un patient octogénaire pour des symptômes de pneumopathie. Elle demande un bilan sanguin et met en place une surveillance infirmière. Deux semaines plus tard, le patient va mieux, sa femme téléphone au cabinet de Cécile « par rapport au bilan sanguin du mari ». « J’ai l’habitude de ne plus prendre de coup de fil non urgent pendant les consultations », raconte la généraliste. « Finalement, elle n’a pas attendu que je la rappelle et est allée consulter un autre médecin le soir même, qui a décidé d’hospitaliser le patient sur la base d’un bilan sanguin de deux semaines », poursuit Cécile. Si le patient est sorti de l'hôpital, sa fille a décidé de porter plainte auprès de l’Ordre.
La généraliste et la plaignante sont convoquées pour une conciliation au conseil départemental. Un rendez-vous auquel la femme ne se rend pas, renvoyant automatiquement l’affaire devant la chambre disciplinaire. « Ça a été un choc, j'étais anéantie de savoir que j’allais être jugée au tribunal », se souvient la praticienne. Elle prend une avocate, contacte sa RCP et décide, en amont de la procédure « d’attaquer la patiente pour plainte abusive ». Finalement, deux jours avant l’audience prévue à Bordeaux, la plaignante se désiste, « prétextant que je faisais partie d’une corporation inattaquable ». Si un « poids s’est enlevé » pour elle, Cécile veut désormais partager son expérience à ses confrères.
Du signalement à la plainte
La réception d’une plainte est « toujours un vécu douloureux », cadre le Dr Dieulangard, assesseur en chambre disciplinaire pendant des années, mais « les médecins doivent connaître la procédure pour ne pas être surpris ». Patients mécontents mais aussi confrères, institutions, préfets ou même ministres peuvent déposer plainte. « Une procédure rapide, gratuite et quasiment sans risque pour le plaignant », résume le responsable ordinal.
Les procédures peuvent aller du simple signalement (doléance) — « un anonyme qui mentionne que son docteur fait passer la carte Vitale de sa mère alors qu'il ne la voit pas », illustre le Dr Henri Dieulangard — à la plainte en bonne et due forme avec réclamation de sanction à l’égard du praticien. L’Ordre peut lui-même déposer plainte, « ce que j’ai fait par exemple avec une consœur qui avait envoyé sa cotisation ordinale avec écrit sur l’enveloppe "pour les serviteurs de Vichy" », se souvient le président du CDOM de Vienne.
Succès des conciliations
Une fois la plainte reçue, l’Ordre a l’obligation de démarrer une procédure dans le mois qui suit. « Il y a des fantaisies, des lettres stupides ou incompréhensibles, mais nous traitons tout, insiste l'ordinal. Mon avis, c'est qu’il ne faut pas que l’Ordre soit un organe de compérage fait pour couvrir les fautes des médecins ».
Que faire pour le médecin visé ? « Lorsque vous recevez une plainte, il faut contacter votre assureur pour pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat », conseille Me Anne-Laure Dagorne, avocate à Bordeaux. Le conseil départemental entame ensuite une conciliation entre le plaignant et le médecin qui, si elle échoue, atterrit devant la chambre disciplinaire. « Dans 90 % des cas chez nous, la conciliation est un succès », témoigne le Dr Christophe Tafani, président du CDOM du Loiret. Si le plaignant décide d’abandonner sa plainte, le PV de conciliation met fin à la procédure. Mais souvent, « les confrères se présentent détruits qu’on ait pu un jour mettre en doute le bien-fondé de leurs pratiques », raconte le Dr Henri Dieulangard.
Attention aux « certificats malheureux »
Si la moitié des affaires qui atterrissent en chambre disciplinaire concernent la qualité des soins, l’Ordre constate depuis plusieurs années une augmentation des contentieux liés au comportement du médecin. Ce motif concentre 15 % des affaires examinées.
Pour le reste, loin des erreurs médicales gravissimes et médiatiques, les plaintes sont souvent le fait de « certificats malheureux », signale le Dr Henri Dieulangard. Exemple typique et « récurrent » pour les généralistes, le fait de « spécifier dans un courrier ou certificat qu’un trouble anxieux ou un burn-out est lié à l’activité professionnelle », poursuit l’ordinal. L’employeur du patient porte alors plainte contre le médecin car « le généraliste n’est tenu de certifier que des éléments médicaux qu'il constate, jamais de tirer des conclusions d’imputabilité, alerte le Dr Dieulangard. Sinon, vous serez presque à coup sûr condamnés ». Accident, chute, conditions de travail : en somme, « ne vous lancez jamais dans de l'interprétation quand vous écrivez un certificat, relisez-vous et demandez-vous si c’est le patient qui vous a rapporté les faits ou si vous les constatez, sauf si vous êtes légistes bien sûr ! ». Dans tous les cas, abonde Me Anne-Laure Dagorne, « soyez très prudent sur les traces écrites et les courriers entre confrères ».
En cas de manquement du professionnel, il peut être sanctionné par un avertissement, un blâme, une suspension temporaire du droit d’exercer (avec ou sans sursis), une interdiction temporaire ou permanente (avec ou sans sursis) d’exercer des fonctions conférées ou rétribuées par l’État, les départements, les communes, les établissements publics, et une radiation du tableau de l’Ordre. La procédure ordinale ne permet pas d’obtenir un remboursement des soins ou l’indemnisation d’un préjudice. Le fait que le patient dépose une plainte ordinale ne lui empêche pas d’initier également une procédure civile ou pénale.
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