Tribune

« Le lit d’hôpital de demain : lit de soins ou lit d’hébergement ? »

Publié le 12/04/2024
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Des Hôtel-Dieu au Moyen-Âge au lit d’hébergement, l’hôpital doit repenser sa gestion des lits.

Jean-Pierre Bethoux, professeur émérite en chirurgie générale

Jean-Pierre Bethoux, professeur émérite en chirurgie générale

Au tout début, lorsque l’on a construit les Hôtel-Dieu au Moyen Âge, il s’agissait essentiellement d’héberger les indigents pour les nourrir et leur pratiquer quelques soins, surtout d’hygiène (tandis que le reste de la population était traité à domicile). Au point que souvent, pour répondre à la demande, on était obligé de les coucher à deux dans le même lit ; comme en attestent certaines gravures de l’époque.

La fonction d’hébergement du lit d’hôpital est restée longtemps prédominante, car celle de soin était des plus limitée ; compte tenu de l’état de la science, qui n’offrait pas beaucoup de types de traitement, en dehors des purges, des saignées, des pansements de plaies. La chirurgie, en dehors des ablations de corps étrangers, des amputations et des parages des blessures, était également limitée. Mais à partir du XIXe siècle, avec l’apparition de l’antisepsie et de l’anesthésie, la densité de soins susceptible d’être administrés aux patients crût de manière exponentielle. Et au XXe siècle, le lit d’hôpital devint plus un « lit-support » à vocation de soins qu’un lit à vocation d’hébergement.

Un lien étroit avec la délivrance des soins

La justification de l’existence même des lits d’hôpitaux fut leur lien étroit avec la délivrance des soins, devenue de plus en plus diversifiée avec notamment le développement des perfusions, au point de corréler leur nombre avec le taux de personnel soignant nécessaire pour leur bonne utilisation.

Au début du XXIe siècle, des textes réglementaires codifièrent trois niveaux d’unités de soins critiques, au-delà des unités d’hospitalisation classique : les unités de soins continus (patients aux fonctions vitales instables à surveiller), unités de soins intensifs (patients en défaillance mono-viscérale), unités de réanimation (patients en défaillance multi-viscérale). Pour chacune de ces unités de soins critiques fut également institué un taux spécifique de personnel paramédical.

Puis, plus récemment, le législateur a introduit par « la loi de financement de la sécurité sociale » (LFSS) 2021 (article 59) et le décret CE 2021-1114 du 25 juillet 2021, une nouvelle modalité d'hébergement des patients dans le cadre de leur parcours de soins à l'hôpital : « l'hébergement temporaire non médicalisé » (HTNM).

Ce nouveau type de lit hospitalier, à côté du lit d'hospitalisation classique et médicalisé, présente d'abord de nombreux avantages pour les patients en termes de confort d'accueil et de sécurité permettant notamment la présence éventuelle d'un accompagnant et une télésurveillance. À condition que les patients hébergés en lits non médicalisés soient éligibles à ce type de prise en charge ; qu’ils soient autonomes, sans troubles cognitifs, non ou peu algiques, susceptibles de ne recevoir que des médicaments administrés par voie orale et non fébriles, selon les critères définis par la HAS en 2015.

Ensuite, pour les soignants et les équipes médico-administratives, en complément d'une hospitalisation classique, d'une prise en charge ambulatoire ou de séances de traitement oncologique, il permet une plus grande fluidité dans la gestion des hébergements des patients, quand ils sont nécessaires pour des raisons de suivi médical ou lorsque le retour au domicile doit être décalé.

Pris en charge par la protection sociale (actuellement selon un tarif forfaitaire de 80 euros, financé par la Mission d’intérêt générale et d’aide à la contractualisation (MIGAC), il correspond de fait à un nouveau type d’hospitalisation, émergeant notamment grâce à l’essor du virage ambulatoire de l'hôpital.

Autrement dit, il constitue pour les hôpitaux un capacitaire supplémentaire de lits, mais de pur hébergement.

Le concept d'hébergement hospitalier en lits non médicalisés se développe progressivement en France avec le qualificatif « d'hôtel hospitalier » ou, de façon plus appropriée, de « résidence-patients ».

Son introduction dans le dispositif hospitalier pose la question de la nécessité ou non pour les patients hébergés à l’hôpital d’un continuum de surveillance jour/nuit.

Si ce continuum de surveillance n’est pas nécessaire pour la nuit, le patient pouvant ne relever que de soins de jour, se pose alors, chaque fois qu’il ne peut retourner à son domicile, la question de son maintien le soir dans une Unité d’hospitalisation complète (notamment si le patient peut être déperfusé), au profit d’un hébergement de nuitée en lit hospitalier non médicalisé.

Ainsi, se dessinent pour l’avenir deux modalités de lits pour les parcours de soins hospitaliers : les lits médicalisés (essentiellement pour soins critiques ou pour hospitalisation de jour) et les lits non médicalisés (pour hébergement purement hôtelier en lien avec le plateau technique).

Toutes les futures restructurations des établissements de santé devront intégrer cette évolution du concept de lit d’hôpital

Durant leur séjour en établissement de santé, les patients pourront de cette manière alterner un hébergement raccourci en lit médicalisé, avec une ou plusieurs nuitées en lit non médicalisé ; ce qui renforcera le confort et la qualité de leur chemin clinique à l’hôpital.

Une enquête nationale en cours

Une enquête nationale par questionnaire est d’ailleurs en cours, diligentée notamment par les Académies de médecine et de chirurgie, pour demander aux sociétés savantes de toutes les spécialités médicales de proposer, en prenant l’exemple de leurs GHM/GHS les plus fréquents, ces parcours de soins d’un nouveau type dissociant ainsi les soins de l’hébergement.

Toutes les futures restructurations des établissements de santé devront intégrer cette évolution du concept de lit d’hôpital.

Jean-Pierre Bethoux, professeur émérite en chirurgie générale, université Paris Cité, ancien secrétaire général du Haut Conseil de la réforme de l’hospitalisation.

Source : Le Quotidien du Médecin