L’Utopie startupienne : quand viser la lune empêche d’avoir les pieds sur terre

Publié le 10/09/2021
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PAR ALICE DE MAXIMY  - Le numérique en santé est en plein essor et la pandémie a dopé ces nouvelles activités qui vont de la téléconsultation, aux objets connectés en passant par l'utilisation de l'IA et la réalité virtuelle. Mais pour séduire les professionnels de santé, il manque le « couteau suisse » qui leur simplifiera vraiment la vie en réunissant apps, logiciels et plateformes santé sur un même support digital.

Crédit photo : DR

La start-up Nation. C’est ainsi que notre président de la République a défini la France, il y a quelques années. Entre les subventions, les prêts d’honneur, les aides à la création d’entreprise et les incubateurs qui fleurissent les prairies de la nouvelle économie, on peut dire qu’effectivement, la France favorise vraiment le démarrage d’activités innovantes, différentes, intelligentes. Et pourtant, plus de la moitié des startups disparaîtront dans trois ans.

Quand je parle de « nouvelles activités », je pense immédiatement au vaste domaine que les startups colonisent : la fameuse e-Santé ou quand le digital se met au service de la Santé. Elle comporte entre autres :

- La télémédecine avec les téléconsultations, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la régulation médicale.

- L’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’aide au diagnostic, en imagerie médicale, dans l’utilisation et la récolte des données patients à travers des applications de suivi ou de détection des maladies, dans la recherche aussi. Encore faut-il que les algorithmes soient pensés de manière éthique, et sans introduire de biais socio-économiques ou genrés.

- La réalité virtuelle, pour la formation ou l’hypnose des patients.

- Les logiciels de gestion automatique des rendez-vous ou des remplacements, par exemple.

- Les objets connectés, qui évitent de chercher les brancards pendant des heures dans un hôpital, qui permettent le suivi des constantes du patient associé à des plateformes digitales de monitoring exceptionnelles, favorisant un maintien à domicile des patients âgés polypathologiques et faisant économiser des centaines de milliers d’euros à l’Assurance Maladie.

La Covid-19 a été un catalyseur sans précédent de l’utilisation de la e-Santé. La téléconsultation est devenue indispensable et les autorisations allouées par les pouvoirs publics se sont débloquées. Les messageries gratuites ont été surutilisées, comme les groupes WhatsApp dans lesquels les professionnels échangeaient leurs informations et interrogations dans le marasme ambiant. Les fameux # « H-tag » ont également colonisé les réseaux sociaux : Twitter qui a servi de vecteur d'information à bon nombre d’acteurs de Santé, sans respecter cependant une certaine confidentialité… D’où les plateformes digitales d’échanges, privatisées et sécurisées, qui fleurissent depuis lors.

Mais sortons un peu de la Covid19… Les « apps Santé » poussent comme des champignons sur les téléphones et représentent une bonne partie de l’univers startupien. Pour chaque type de maladie, il existe plusieurs apps de prévention, de détection ou de suivi ; destinées aux patients, aux médecins ou aux aidants. Ces projets sont activement soutenus voire développés, par des médecins spécialistes, des patients experts, des associations, des laboratoires ou des mutuelles.

Les médecins n'ont pas le temps de se familiariser

Or sur le terrain, les professionnels de Santé n’ont pas le temps de se faire la main sur chaque outil numérique ! Certains, même, sont peu à l’aise avec le monde digital. Alors que leur proposer ? Des formations pour chaque logiciel/apps ? C’est absurde et irréalisable : le professionnel ne va pas se connecter à des dizaines de services et se former à chacun d’entre eux. Et pourtant, la plupart des startups propose un produit intelligent, utile, justifié. Et c’est là que se situe le décalage, le « mismatch ». Que faudrait-il, alors, pour que ces outils digitaux soient utilisés ? Je suis convaincue que la réponse se trouve dans la fameuse « interopérabilité ». La startup qui créera un système sécurisé et universel d’interopérabilité des données patients, des apps et des outils proposés aux professionnels, sera le grand gagnant du XXIe siècle. Uniquement cependant si elle SIMPLIFIE les tâches du professionnel qui ne relèvent pas du soin ; là est la clef. En quelques mots : « intuitivité », « gain de temps », « aide » et « quasiment rien à faire » seraient les principes fondamentaux de ce nouvel outil, ce couteau suisse qui réuniraient apps, logiciels et plateformes de Santé, un seul support digital archi-simple. Une utopie sans doute…

En attendant, la grande partie de ces startups n’est pas encore rentable. Certaines pourtant se déploient et lèvent des fonds. Mais pour la plupart, les retours sur investissements tardent et les business modèles sont de plus en plus complexes à trouver, malgré la DATA récoltée… Et les rêves se heurtent aux deux réalités du terrain. La réalité des startuppeurs, d’abord, qui franchissent obstacles après obstacles avec conviction, et la réalité des professionnels de santé qui écoutent leurs patients, soignent et sauvent, mais qui sont débordés, surchargés ; éprouvés même, en ce moment. Deux acteurs qui, malgré tout, continuent ensemble leur rêve commun d’améliorer le système de santé, soutenus notamment par la Startup Nation qui a alloué 2 milliards d’euros au développement massif du numérique en santé.

Alice de Maximy

Source : Le Quotidien du médecin