APPLE Heart

Première étude de l'ère numérique en cardiologie

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Publié le 15/04/2019
étude numérique

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Crédit photo : Phanie

L'étude APPLE Heart a eu pour objectif d'évaluer la valeur prédictive positive d'un algorithme reposant sur la détection d'irrégularités du rythme cardiaque à partir d'une montre connectée (AppleWatch, série 1-3) pour affirmer la présence d'une fibrillation atriale (FA).

Une étude 100 % virtuelle

Pendant l'étude, les sujets inclus dans l'étude n'ont à aucun moment été en contact physique avec un investigateur (médecin ou non). Ils devaient habiter les États-Unis, avoir au moins 22 ans, posséder une montre et un téléphone multifonction mobile de marque Apple (iPhone 5S et au-delà). Ils ne devaient pas avoir de FA ou de flutter atrial, ni recevoir d'anticoagulants. Contactés par leur iPhone ou informés par la presse, ils devaient pour participer télécharger une application, répondre à quelques questions et, en cas d'éligibilité, leur montre connectée était programmée pour enregistrer par périodes la régularité de leur rythme cardiaque.

Lors de cette première phase, si une irrégularité était observée, cinq nouvelles irrégularités devaient à nouveau être constatées pour qu'une notification soit envoyée au patient afin de le mettre en contact virtuel avec un médecin, via son téléphone. Le médecin lui signifiait les irrégularités du rythme cardiaque constatées et, en cas d'éligibilité et d'accord du patient, celui-ci recevait un patch cutané Holter à porter au moins 7 jours simultanément à sa montre connectée.

Cette deuxième phase avait pour objectif d'évaluer si la présence des irrégularités du rythme cardiaque, enregistrées par la montre, était corrélée à l'enregistrement d'une FA ou d'un flutter atrial par le patch Holter. Au-delà de ces 7 jours, le patient était de nouveau contacté virtuellement par un médecin de l'étude pour l'inciter à consulter une équipe soignante en cas de FA ou de flutter atrial enregistrés. Ainsi, la dernière évaluation de l'étude portait sur le taux de personnes ayant effectivement été contactées une équipe de soins dans les 90 jours, après avoir été incitées à le faire.

Beaucoup de pertes au recrutement

En 8 mois, cette méthode a permis d'enrôler 419 297 personnes, dont 24 626 avaient au moins 65 ans. Lors de la première phase, 2 161 (0,5 %) personnes ont reçu une notification, parmi lesquelles 945 ont accepté de recevoir un patch Holter. Cependant, 291 personnes n'ont pu participer à la deuxième phase, principalement en raison d'une FA, d'un flutter ou de la prise d'anticoagulants. Le taux de notification a été de 3,2 % chez les personnes âgées d'au moins 65 ans, 1,3 % entre 55 et 64 ans, 0,37 % entre 40 et 54 ans et 0,16 % entre 22 et 39 ans.

Parmi les 658 Holter adressés, 450 (68 %) ont été retournés et/ou pu être analysés et il a été découvert une FA chez 153 personnes (34 % des Holter analysés). Sur les 2 161 patients ayant initialement reçu une notification pour irrégularité du rythme cardiaque, 1 376 (64 %) ont complété le formulaire de surveillance à 90 jours, parmi lesquels 787 (57 %) ont pris contact avec une équipe de soins.

L'étude montre une valeur prédictive positive de détection d'une irrégularité du rythme cardiaque par la montre connectée, évaluée par la présence d'une FA au patch Holter, de 0,71 (IC 97,5 % : 0,69-0,74). La valeur prédictive positive d'une notification, lorsqu'elle est mesurée par la présence différée d'une FA au patch Holter, est de 0,84 (IC 95 % : 0,76-0,92).

Des résultats discutables

Cette étude n'était pas conçue pour évaluer l'incidence de la FA dans la population de façon objective. Elle a cependant répondu à son principal objectif, évaluer la valeur prédictive positive d'un algorithme, avec un résultat compris dans la fourchette de son hypothèse statistique. C'est son seul enseignement scientifique. Mais concernant sa méthode et sa conduite, elle laisse perplexe. Ainsi, il aurait été plus simple, mais moins spectaculaire, d'effectuer l'étude chez des patients ayant une FA paroxystique. La méthode choisie l'a probablement été à dessein pour montrer la faisabilité de ces études virtuelles avec des outils commercialisés par une firme, ainsi que la possibilité d'effectuer un dépistage de masse, un des éléments de perplexité que laisse cette étude et ce, pour au moins deux raisons :

• Le dépistage, hormis le fait d'établir des incidences et d'enrichir des bases de données, a pour vocation de permettre la diminution du risque associé à la maladie dépistée. Qu'en est-il de ce principe chez un patient jeune, asymptomatique, ayant une FA paroxystique ne justifiant a priori d'aucune prise en charge au bénéfice validé ? Lui rend-on service ou l'inquiète-t-on inutilement ? À noter en parallèle que la méthode de l'étude ne permet pas de fournir de valeur prédictive négative et qu'une absence de notification pourrait rassurer à tort une personne ayant la maladie.

• On constate que, d'une part, des sujets non éligibles ont participé à l'étude (ils ont donc triché). D'autre part, parmi les sujets éligibles, les taux de perte de données ont été élevés à chaque étape. Ainsi, le Holter n'a finalement pu être analysé que chez 450 personnes, soit 24 % des 1 870 sujets ayant reçu une notification et éligibles à celui-ci. Le dépistage de masse, reposant sur des outils connectés et sur le volontariat, semble certes avoir un avenir, mais restreint en l'état actuel de motivation des populations cibles.

Quoi qu'il en soit, la méthode de détection de la FA par une montre connectée se perfectionne. De plus, de nouveaux modèles de montres pourront enregistrer des électrocardiogrammes (en une dérivation), ce qui pourrait être utile en matière de diagnostic étiologique chez des patients symptomatiques.

Turakhia M et Perez M. Results of a large-scale, app-based study to identify atrial fibrillation using a smartwatch: the Apple Heart Study. Session scientifique du 16 mars 2019.

François Dievart

Source : Le Quotidien du médecin: 9741