Antalgie chez le nouveau-né

L’intérêt des crèmes anesthésiantes et des solutions sucrées

Publié le 10/03/2011
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Crédit photo : S Toubon

Anesthésie locale : les moyens

De nombreuses études ont montré l’efficacité des crèmes anesthésiantes chez le nourrisson et le nouveau-né. La seule crème anesthésiante disponible en France est le mélange de prilocaïne 2,5 % et de lidocaïne 2,5 % (EMLA et génériques). La profondeur de pénétration est d’environ 2 à 3 mm après 1 à 2 heures d’application. EMLA est efficace pour les ponctions veineuses, les injections intramusculaires (vaccinations, injections de Vitamine K1), et pour les injections sous-cutanées. Néanmoins, si EMLA diminue la douleur liée à l’effraction cutanée elle n’a aucun effet sur celle liée à l’injection et doit donc être associée à d’autres moyens antalgiques, en particulier non pharmacologiques : succion non nutritive (SNN) et solutions sucrées en particulier.

EMLA dispose d’une autorisation de mise sur le marché à partir de 37 semaines d’aménorrhée. De nombreuses équipes l’utilisent en deçà, et EMLA peut être utilisé chez des enfants anciens prématurés. La méthémoglobinémie, effet secondaire systémique de l’EMLA, est exceptionnelle, et aucune étude n’a mis en évidence d’élévation toxique de méthémoglobinémie après l’application d’une dose unique d’EMLA. Les autres effets secondaires sont les réactions cutanées locales (blancheur transitoire fréquente disparaissant 10 minutes après l’ablation de la crème, ou rougeur locale). La crème anesthésiante est efficace après une heure d’application sous un pansement occlusif. Elle doit être appliquée en peau saine. L’absorption est retardée sur les peaux pigmentées et il est habituel d’augmenter le temps de pose de 1 h 30 à 2 heures après 3 mois chez ces patients. La posologie recommandée est de 0,5 g de la naissance à 1 an. Cette dose peut être augmentée à 1 et 2 g/jour maximum respectivement. La crème ou les patchs peuvent être utilisés. L’ablation du patch est souvent douloureuse, et un antiadhésif ou une compresse humidifiée peuvent être utilisés.

Avant un prélèvement veineux, on peut recommander aux parents de se rendre au laboratoire afin que la veine soit repérée et que l’EMLA soit déposé sur un (ou deux) sites optimums. La crème peut être retirée 10 minutes avant la ponction par la personne réalisant le geste afin que la veine redevienne visible. La blancheur cutanée avant un vaccin permet de repérer la zone anesthésiée. Il est important d’expliquer aux parents le site de pose et le temps de pose nécessaire (1 heure). Idéalement, les vaccinations devraient être associées à d’autres moyens antalgiques afin de réduire la douleur liée à l’injection.

Succion et solutions sucrées

Les moyens non pharmacologiques les plus usuels en néonatalogie et chez les nourrissons sont la SNN (utilisation d’une tétine) et les solutions sucrées.

De très nombreuses études ont montré que les solutions sucrées, administrées avant un geste nociceptif, et associées ou non à la SNN, étaient efficaces pour diminuer les manifestations douloureuses liées au geste. Les mécanismes d’action de ces deux moyens sont mal connus mais font probablement intervenir les systèmes opioïdergiques endogènes. Les solutions sucrées les plus utilisées sont le saccharose et le glucose concentrés entre 24 % et 30 %. La première étude sur l’efficacité analgésique du sucrose fut publiée en 1991. De nombreuses autres études ont confirmé ces données, synthétisées dans une revue systématique de la littérature par la Cochrane Collaboration en 2004, actualisée en 2010 [2,3]. De faibles quantités (quelques gouttes à 2 ml) sont efficaces pour réduire la douleur des gestes de courte durée et d’intensité légère à modérée tels que les ponctions au talon ou les ponctions veineuses. Plusieurs sociétés savantes, dont l’Agence Française de Sécurité Sanitaire et des Produits de Santé (AFSSAPS) recommandent l’utilisation des solutions sucrées chez le nouveau-né pour les effractions cutanées comme les ponctions au talon, les prélèvements veineux ou artériels, les injections intramusculaires [4]. Ces solutions doivent être administrées 2 minutes avant le geste. L’effet analgésique dure 5 à 7 minutes maximum. Les effets secondaires rapportés sont rares et liés à une administration trop rapide (fausses routes avec désaturations légères ne nécessitant pas de manœuvre de réanimation).

La SNN seule a un effet antalgique au moins aussi efficace qu’une solution sucrée utilisée seule. L’association des deux a un effet antalgique synergique et est actuellement reconnue comme un des moyens analgésiques non pharmacologiques les plus efficaces[3,5].

Il existe des données montrant que l’analgésie induite par le saccharose et autres solutions sucrées se prolonge au-delà de la période néonatale, notamment lors de la réalisation des vaccins. En 2007, une conférence d’experts sur la réduction de la douleur lors des vaccins a considéré que les données semblaient être suffisantes pour recommander l’utilisation du saccharose de manière systématique lors de l’administration de vaccins pour des enfants de moins de 6 mois [6]. Une revue récente de la littérature confirme que le saccharose et le glucose sont efficaces pour diminuer la douleur liée à la vaccination chez les nourrissons de 1 à 12 mois (avec surtout une durée du cri moins longue et une durée de récupération plus courte), mais avec des effets antalgiques moindres qu’en période néonatale [7].

Les solutions sucrées disponibles sont les ampoules de glucose 30 % et les solutions prêtes à l’emploi de saccharose 24 % (Sweet-ease, PDG System et Sucrose 24 %, Crinex). Ces dernières ne sont disponibles qu’en milieu hospitalier.

Chez les enfants allaités, l’allaitement maternel est une alternative au moins aussi efficace que l’association SNN-solution sucrée [8] et peut être utilisé lors d’un geste comme une ponction veineuse ou une vaccination.

Au total

Les crèmes anesthésiantes, la SNN et les solutions sucrées sont des moyens antalgiques simples permettant de réduire la douleur provoquée par des gestes tels que ponction veineuse ou vaccination. Leur mise en œuvre nécessite un peu d’organisation et une planification du geste, au profit d’un bénéfice certain pour l’enfant, ses parents et le soignant réalisant le geste.

Références

1] E Walter-Nicolet. Crèmes anesthésiantes et solutions sucrées chez le tout-petit : où en sommes-nous ? Journée de l’Unesco 2010. Tout savoir sur la douleur de l’enfant. http://www.pediadol.org.

[2] B Stevens et al. Sucrose for analgesia in newborn infants undergoing painful procedures. Cochrane Database Syst Rev. 2004(3):CD001069.

[3] B Stevens et al. Sucrose for analgesia in newborn infants undergoing painful procedures. Cochrane Database Syst Rev. (1):CD001069.

[4] AFSSAPS. Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. Recommandations de bonne pratique;2009.

[5] E Cignacco et al. The efficacy of non-pharmacological interventions in the management of procedural pain in preterm and term neonates. A systematic literature review. Eur J Pain. 2007 Feb;11(2):139-52.

[6] N Schechter et al. Pain reduction during pediatric immunizations: evidence-based review and recommendations. Pediatrics. 2007 May;119(5):e1184-98.

[7] D Harrison et al. Efficacy of sweet solutions for analgesia in infants between 1 and 12 months of age: a systematic review. Arch Dis Child 2010 Jun;95(6):406-13.

[8] R Carbajal R et al. Analgesic effect of breast feeding in term neonates: randomised controlled trial. BMJ. 2003 Jan 4;326(7379):13.

 Dr ELIZABETH WALTER-NICOLET pédiatre, service de néonatologie, groupe hospitalier Saint-Joseph. Paris. ewalter@hpsj.fr

Source : Le Quotidien du Médecin: 8920