IL EST PARTI « Oliv », le cheveu tire-bouchonnant. « C’est un bout de notre vie à tous qui part. En même temps, il vivait tellement mal dans cet institut de soins palliatifs que j’avais envie de lui dire 'il est temps' », confie Aimée Le Manac’h, sa secrétaire à Marmottan depuis janvier 1997 jusqu’à son départ en 2001. Un an après Jacques Derrida, cet autre passeur, guetteur et dissident, qu’il tutoyait en sage devenu, Claude Olievenstein s’en est allé. « S’attendre aux frontières de la vérité », disait pour « mourir » le philosophe de la déconstruction. « Celui qui attend l’autre, à cette frontière, n’est pas celui qui y arrive le premier (.) Pour y attendre l’autre, il faut y arriver en retard, au contraire ». La camarde aura fait prendre de l’avance à « Oliv ».
Né à Berlin, l’année où l’hydre hitlérienne sort des urnes, le jeune transfuge connaîtra la clandestinité dans la France occupée. Passé par les Jeunesses communistes et l’Union des étudiants juifs, il laissera libre cours à ses penchants buissonniers. Partout où l’on déniche, il s’envolera. Il sait que le printemps n’est jamais à bout de souffle. Tout ce qui est souterrain connaîtra la lumière du jour, chante en substance Bob Dylan dans les pas de qui il s’est reconnu.
« Nous n’imposons pas, nous proposons ».
En guetteur « Oliv » s’aventurera au Népal, en Inde, en Californie. Incapable de n’être pas lui-même, il veillera à tout sur tout. Ici, il dénoncera la morgue déshumanisante de l’enseignement médical officiel, là, en tant que psychiatre, il se révoltera contre les mouroirs du monde asilaire des années 1950-1960. Des travaux sur le LSD lui feront entendre des voix d’une jeunesse qui se cogne à nulle part. En 1971, il bâtira Marmottan (Paris), centre d’aide pour toxicomanes*, à coups d’affect et d’instinct communautaire. Passeur de vies, d’éclats de joie, de chefs-d’uvre à dégager de corps et d’esprit démolis par la drogue, il entre par effraction chez chacun de ces jeunes en pièces détachées car « Il n’y a pas de drogués heureux » (Laffont, 1976). « Nous n’imposons pas, nous proposons » pourrait être sa doxa, lui le non doctrinaire. « Si un garçon CRS est heureux, je me fous qu’il soit devenu CRS (...) La guérison c’est d’être transformé en démocrate, c’est savoir qu’on a fait des choix, c’est enfin vouloir être quelqu’un ». Dès 1979, parlant des usagers de drogues, il constate qu’ « on se fout des motivations des jeunes. On demande un comportement normalisé »**. Des années plus tard, il ne cessera de stigmatiser les produits de substitution, « pièce maîtresse d’un système onéreux qui permet le contrôle des toxicomanes avec une prise en charge qui n’en est plus une et dont la seule finalité est de permettre la normalisation ».
Un voyageur de la pensée.
« Oliv » que « le pouvoir a utilisé autant qu’il l’a utilisé », au point d’être ressenti par certains comme « un suspect », n’en finira plus de s’insurger. Le porte-parole des sans voix n’en est pas moins un homme et sait qu’ « on ne peut pas donner de l’affection à tous comme on le souhaiterait dans l’usine Renault de la toxicomanie » (Marmottan, ndlr). Claude Olievenstein, homme de l’être, c’est aussi et surtout un voyageur incorrigible de la pensée mise en écriture. Dans « Ecrit sur la bouche » (O. Jacob, 1995), vorace du plaisir, il fait l'éloge de l’oralité, du baiser, de la morsure. Dans « Naissance de la vieillesse » (O. Jacob, 1999), il tente d’apprivoiser le dernier rendez-vous, de jouer avec le temps en explorant ses sens. Après avoir décroché de la planète Marmottan, il s’en est allé dans « Le non-dit des émotions » (O. Jacob, 1988), balançant dans le va et vient incessant de la conscience et de l’inconscient, lui, le dépositaire du mystère « Olievenstein » : « L’Homme parano » (O. Jacob, 1992) qui s’est sans doute rêvé en maître du monde. Juste pour rire.
› PHILIPPE ROY
*Le centre médical Marmottan est rattaché à l’EPS Perray-Vaucluse
* *Extraits du « Quotidien » des 27-28 juillet 1979.
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