En juin 2013, j’écrivais dans « le Quotidien du Médecin » que la RTU du baclofène était « n’importe quoi ! » et risquerait de gêner la mise en évidence de l’éventuelle efficacité du médicament. Je m’inquiétais d’un rapport bénéfice/risque potentiellement négatif de ce produit. J’ai bien peur que quatre ans plus tard les faits me donnent raison…
Petit rappel historique et chronologique :
1/ Olivier Ameisen traite son alcoolisme avec du baclofène et le décrit dans un livre en 2008.
2/ Fort engouement pour le produit.
3/ RTU de l’AFSSAPS en juin 2013 (avant que les essais cliniques d’enregistrement soient débutés ce qui est très inhabituel mais le sujet était politiquement sensible…) ayant conduit à ce jour à plus de 120 000 patients traités en France à des doses variables (parfois supérieures à 300 mg/j) mais moins de 10 000 patients réellement suivis sur le site RTU de l’ANSM !
4/ Conduite, analyse et résultats (2016) des deux essais cliniques : Bacloville (en médecine de ville) et Alpadir (en milieu spécialisé). En termes d’efficacité les résultats sont maintenant connus : négatifs pour Alpadir, et vaguement positifs (selon le mode d’analyse…) avec beaucoup de perdus de vue et de déviations au protocole pour Bacloville. Un très fort effet positif du placebo (peut-être lié au buzz fait autour du produit) dans ces deux études en double aveugle, explique sans doute l’absence de supériorité du baclofène dans les essais, même s’il est perçu comme très efficace dans la RTU.
5/ Dépôt d’une demande d’AMM nationale début 2017.
6/ Publication en juillet 2017 du rapport de sécurité de l’ANSM sur le baclofène qui conduit à de fortes réserves, surtout à fortes doses et qui montre une très faible persistance du traitement.
7/ Grande agitation des « pro-baclo » qui voyant des données d’efficacité pour le moins fragiles et des données de sécurité pour le moins inquiétantes, redoutent l’absence d’AMM voire un arrêt de la RTU (ce qui serait normal en termes de niveau de preuve dans n’importe quelle autre situation moins « sensible »…) alors que des milliers de malades sont traités, certains sont sevrés, beaucoup sont contents. Ils soulignent que l’arrêt de la mise à disposition du baclofène pourrait conduire à la reprise des alcoolisations des « répondeurs » et prouverait le désintérêt des politiques pour ce problème majeur de santé publique.
Mon analyse « méthodologique » :
1/ Quand on est dans le passionnel (vaccination, Ebola, VIH, végan…), on entend n’importe quoi.
2/ Le fait qu’un médicament soit peu différent du placebo n’empêche pas les « consommateurs » d’en être très satisfaits (homéopathie, veinotonique, yoga, IPP avec aspirine…).
3/ Le baclofène à forte dose a clairement un rapport bénéfice/risque défavorable (voir le rapport de l’étude de l’ANSM que je trouve très démonstratif et correctement conduit). À plus faible dose, on connaît mal son niveau d’efficacité (dans les essais les doses étaient très variables et il n’a pas été montré de relation dose-effet).
4/ Il me semble important que la communauté médicale reste « evidences based » et non « polemique based ». Il faut aider au sevrage alcoolique mais la stratégie thérapeutique idéale reste à trouver !
5/ Il ne faut sûrement pas banaliser ce traitement potentiellement dangereux, sa place (s’il y en a une) se doit d’être précisée.
6/ D’autres études sont nécessaires pour mieux évaluer (ce qui est difficile) les traitements dans cette indication. Il faut inciter à leur réalisation.
7/ Si ce n’était pas un sujet si polémique et sensible, et si un médicament disponible dans une autre pathologie entraînait de tels effets indésirables graves avec si peu d’efficacité observée dans les essais, les mêmes loups, journalistes, militants hurleraient au scandale « mais qui sont les crétins qui ont mis un tel médicament sur le marché ? Ce sont des criminels inconscients… ».
Aujourd’hui, les données scientifiques ne sont clairement pas en faveur de l’utilisation du baclofène dans le sevrage alcoolique. Les malades qui en prennent actuellement et qui en sont satisfaits doivent pouvoir continuer à y avoir accès mais l’état de la science n’incite pas à proposer ce traitement à de nouveaux patients.
* Pr Jean-François Bergmann, Chef du Département de Médecine Interne, Hôpital Lariboisière (AP-HP), ancien vice-président de la commission de mise sur le marché de l’Agence française du médicament.
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