L’adénocarcinome du pancréas (AP) représente 90 % des tumeurs du pancréas. Sa prévalence a doublé au cours des vingt-cinq dernières années, représentant environ 16 000 nouveaux cas recensés en France en 2023 selon l’Inca. Il constituera bientôt la deuxième cause de décès par cancer. Le risque global d’AP aux États-Unis à 75 ans est de 1,7 %, avec une augmentation plus importante chez les patients jeunes.
En 2024, plus de 80 % des diagnostics étaient réalisés à un stade avancé (présence de métastases ou tumeur localement avancée), avec des taux de survie à 5 ans < 11 %. Parmi les 20 % de patients qui présentent une maladie résécable ou borderline au diagnostic, la survie à 5 ans est de 15-25 %. Quand le diagnostic est très précoce (stade 1A), la survie dépasse > 80 % aux États-Unis.
Impossible en population générale
Contrairement au cancer colorectal (dépistage par FIT test tous les deux ans de 50 à 74 ans), il n’existe pas de programme national de dépistage du cancer du pancréas, et ce, pour deux raisons :
• l’incidence, si elle augmente, reste faible en valeur absolue, en comparaison au cancer colorectal (47 600 cas en 2023 selon l’Inca) ;
• l’absence de techniques simples, validées et non invasives de dépistage des lésions précancéreuses.
En effet, les AP se développent à partir de trois entités précancéreuses : les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) – fréquentes en population générale mais expliquant à peine 10 % des AP –, les tumeurs mucineuses kystiques (lésions kystiques rares) et les néoplasies intra-épithéliales pancréatiques (PanIN) – lésions microscopiques à l’origine de 90 % des AP, pas ou peu visibles en imagerie conventionnelle. Notre espoir porte sur les associations de biomarqueurs ou sur la détection d’ADN circulant.
Certains facteurs de risque ont émergé récemment : microbiote oral, exposition chronique aux toxiques environnementaux
Cibler des populations à risque
Pourrait-on cependant cibler le dépistage chez des populations à risque ? Parmi les facteurs de risque (FDR), on distingue :
■ des facteurs non familiaux : le tabagisme, l’obésité, la pancréatite chronique et le diabète sont bien connus. D’autres ont émergé plus récemment, tels le microbiote oral et l’exposition chronique aux toxiques environnementaux : pesticides, amiante, benzène, hydrocarbures chlorés. Le risque relatif d’AP associé à ces FDR est < 5 et ne doit pas conduire à un dépistage systématique. Seule une imagerie pancréatique serait utile en cas de survenue atypique de diabète hors contexte épidémiologique en faveur ;
■ des facteurs familiaux : présence de cas multiples dans une même famille ou découverte d’une mutation d’intérêt chez un patient. Le dépistage est indiqué pour les patients à haut risque, soit ceux ayant un risque cumulé d’AP > 5 % au cours de la vie ou un risque relatif > 5. Quatre situations sont identifiées :
• Pancréatite chronique héréditaire liée à une mutation PRSS1 codant pour la trypsine cationique. Dépistage à débuter dès 40 ans.
• Syndrome de Peutz-Jeghers (LKB1/STK11) ou mélanomes multiples familiaux (CDKN2A). Dépistage à débuter dès 40 ans.
• Syndrome héréditaire sein-ovaire (mutation de BRCA1/2, PALB2) ou syndrome de Lynch (MLH1, MSH2, MSH6, PMS2) ou polypose adénomateuse familiale (APC) ou syndrome de Li-Fraumeni (TP53) ou syndrome ataxie-télangiectasie (ATM). Dépistage en cas d’antécédent familial au premier degré d’AP, à débuter dès 45 ans ou dix ans avant le cas index.
• Apparenté à une famille de cancer pancréatique familial (CaPaFa) sans mutation identifiée, ce qui est défini soit par la présence d’au moins un apparenté au premier degré d’AP ayant lui-même un apparenté au premier degré d’AP, soit par au moins trois apparentés atteints d’AP dont au moins un au premier degré. Dépistage à débuter dès 50 ans ou dix ans avant le cas index le plus jeune.
Une consultation d’oncogénétique devra être proposée en cas de suspicion de CaPaFa ou de forme syndromique.
En pratique
En pratique, le dépistage repose sur une IRM pancréatique, une écho-endoscopie et dosage HbA1c/glycémie à jeun annuels, pour détecter des lésions solides mais aussi kystiques précancéreuses. L’apparition d’un diabète au cours du suivi devra aussi alerter.
Le suivi doit être réalisé dans des centres à haut volume avec réunions pluridisciplinaires, avec des radiologues digestifs réalisant des IRM pancréatiques dédiées et des écho-endoscopistes habitués consacrant du temps à un examen minutieux. Il n’y a pas d’âge clair de fin de surveillance mais, de façon logique, celle-ci ne devra pas être initiée ou devra s’arrêter chez les patients non-candidats à une chirurgie pancréatique.
Nous avons peu de données sur l’efficacité et les limites de ce dépistage. En 2022, une étude de cohorte a évalué, sur 1 461 patients à haut risque d’AP, le stade au diagnostic et leur pronostic (1). La majorité des patients diagnostiqués étaient au stade 1 (un peu plus de 78 %) avec une survie médiane de 9,8 ans, contrastant nettement avec le stade souvent avancé des patients avec AP symptomatique. Les auteurs concluaient ainsi qu’une surveillance régulière par imagerie devait être proposée aux patients à haut risque. Il faudra cependant rester prudent : les modalités du dépistage, ses indications et son coût médico-économique restent débattus et ne sont issus que de recommandations d’experts, sans étude à haut niveau de preuve. Il sera donc crucial de prendre en charge ces patients de façon multidisciplinaire, en leur expliquant les limites.
(1) Dbouk M et al. J Clin Oncol. 2022 Oct 1;40(28):3257-66
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?