Risque de cancer

ISICA vient clore le débat

Publié le 05/11/2012
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Crédit photo : BSIP

POUR MÉMOIRE, en juin 2009, la revue Diabetologia publie quatre études épidémiologiques qui vont lancer la controverse sur l’insuline glargine (Lantus) et le risque de cancer. Le comité rédactionnel a, en fait, longuement hésité avant d’accepter le papier princeps de l’équipe allemande de L. G. Hemkens et coll., mettant en évidence un surrisque de cancer. D’autant que, dans cette analyse, le surrisque de cancer ne sort qu’après un ajustement, très critiqué, sur la dose, quand, a contrario, le risque global de décès (RR = 0,68) et de cancers (RR = 0,85) non ajustés des patients sous insuline est favorable. L’analyse des registres suédois et écossais, réalisée pour compléter cette publication, retrouve un léger surrisque de cancers du sein. Le registre britannique vient, quant à lui, mettre en cause les insulines en général…

Au cours de l’été 2009, une pluie d’éditoriaux tente d’apaiser le débat, en soulignant les biais liés à l’utilisation de registres. En août, une analyse intermédiaire d’ORIGIN – vaste essai randomisé alors en cours avec l’insuline glargine – conclut à l’absence de signal inquiétant. Les méta-analyses d’essais randomisées et d’études non contrôlées remettent elles aussi la balle au centre.

Les experts sont néanmoins restés circonspects, vus l’enjeu et la difficulté de faire le tri entre les facteurs de risque confondants (surpoids, activité physique, âge, insulinorésistance, hyperinsulinémie). L’EASD décide alors de lancer une expertise sur les inter-relations entre diabète et cancer. Ce programme, financé par l’EFSD (European fondation for the Study of Diabetes) à hauteur de 3 milliards d’euros, a été mis en œuvre en collaboration avec la FDA et l’EMA (agences américaine et européenne, respectivement). Il rassemble plusieurs études dédiées. Les premières ont été présentées cette année en juin lors du congrès américain (ADA) à Chicago. La dernière, la vaste étude cas témoin ISICA, présentée à l’EASD à Berlin, vient clore ce programme.

Nordic et USA Database study, ORIGIN, étude CNAM…

Les résultats des diverses études présentées à Chicago ont globalement rassuré la communauté scientifique. Résumé des données.

L’étude de la Nordic Data base, coordonnée par Peter Boyle, sur 450 000 diabétiques avec 1,5 million de patients-années d’exposition à l’insuline, retrouve une discrète tendance non significative de cancer du sein, largement contrebalancée, si l’on peut dire, par une diminution de cancers colorectaux. Mais cela, sans effet de la durée d’exposition sur le risque.

L’analyse de l’US Data base, supervisée par John Buse sur 7 millions de diabétiques, dont 53 000 nouveaux utilisateurs d’insuline (43 000/glargine et 9 000/NPH), ne met en évidence aucun surrisque de cancer sur les deux ans d’utilisation.

L’étude d’une vaste cohorte californienne (Kaiser Permanente), rassemblant 142 000 patients, ne met pas plus en évidence de cancer sous insuline glargine. Elle évoque néanmoins un surrisque de cancer du sein passé deux ans d’exposition, mais sans permettre de conclure. Si surrisque il y a, il serait très faible, selon les auteurs.

L’analyse de bases de données hollandaises colligeant les délivrances en pharmacie durant dix ans et les motifs d’hospitalisations ne met en évidence, elle non plus, aucun signal d’alerte fort en cancérologie, si ce n’est, à nouveau, un surrisque de cancer du sein (RR = 1,6 ; 1,2-2), « compensé » par un sous-risque de cancer colorectal (RR = 0,5 ; 0,4-0,8).

Cerise sur le gâteau, l’analyse des données d’ORIGIN, qui est une étude prospective randomisée portant sur 12 000 patients suivis durant 6 ans ne retrouve aucun signal de sécurité. Dans le groupe insuline glargine, versus traitement standard, ni l’incidence des cancers (7,6 % vs 7,6 %, RR = 1), ni les décès par cancer (3 % vs 3,2 %, RR = 0,94) ni la mortalité totale (15,2 % vs 15,4 %, RR = 0,98) ne sont augmentés (1).

Enfin, l’étude de cohorte menée en France sur les données CNAM sur près de 70 000 diabétiques de type 2, de 40 à 79 ans, passés à l’insuline entre 2007 et 2009, dont près de 48 000 traités par insuline glargine durant en moyenne 2,7 ans, ne retrouve pas plus d’augmentation des cancers chez les sujets sous insuline glargine versus autres insulines (2).

ISICA : la dernière étude du programme

La dernière étude du programme, la vaste étude cas témoin ISICA (International Study of Cancer & Insulin), coordonnée par Lucien Abelhaim (Paris, France) et portant spécifiquement sur le risque de cancer du sein, était très attendue. « Il s’agit de la première étude clinique internationale portant spécifiquement sur le risque de cancer du sein chez des diabétiques, selon l’insuline utilisée », précise L. Abelhaim. Or ses résultats, présentés en avant-première à l’EASD (3) « ne mettent pas en évidence de surrisque de cancer du sein lié au traitement par insuline et cela quelles que soient l’insuline, la dose et la durée d’exposition », résume-t-il.

L’étude cas-témoins porte sur les données recueillies dans 92 grands centres de prise en charge du cancer du sein en France, en Grande-Bretagne et au Canada. Pour réduire les biais, des données issus des médecins traitants, des prescriptions et des patients eux-mêmes ont aussi été collectées.

Au total, 40 000 sujets diagnostiqués pour un cancer du sein entre 2008 et 2009 ont été identifiés. Parmi eux, 6,2 % étaient diabétiques et toujours en vie, dont 41 % éligibles pour l’étude. Soient 775 diabétiques diagnostiqués pour cancer du sein (89 % de cancers primitifs invasifs. Stade TNM 1 47 %, et TNM 2 30 %. Tumeurs luminales pour 64 %).

En parallèle, 3 050 témoins diabétiques, indemnes de cancers, recrutés via des médecins traitants (582), ont été recherchés pour appariement (âge, pays/région, type de diabète [1/2], type de prise en charge [MG/Diabétologue]).

Sur les 775 diabétiques souffrant de cancer du sein retenus dans l’étude, 10 % avaient été traités dans les 8 ans auparavant par insuline glargine, soit au total 78 cas. Par ailleurs, toujours dans les 8 ans précédents, 6 % avaient été traités par insuline lispro (analogues), 7 % par insuline aspartate et 8 % par insuline humaine. La durée moyenne d’exposition à ces insulines était de 3 ans.

Point rassurant : l’analyse retrouve les facteurs de risque classiques de cancer du sein et a contrario, elle ne met pas en évidence de surrisque lié à telle ou telle insuline ni de surrisque lié à la glargine par rapport aux autres insulines. Les ratios de risque des diverses insulines oscillent entre 1,23 et 0,81 (glargine : RR = 1,04 [0,8-1,4] ; lispro RR = 1,23 [0,8-1,9] ; aspart RR = 0,95 [0,6-1,4] ; humaine RR = 0,81 [0,5-1,2]). Le risque relatif lié à la glargine, versus autre insuline, n’est pas plus concluant. Les RR relatifs oscillent entre 0,85 et 1,29 et sont non significatifs.

On ne retrouve pas non plus d’impact significatif du temps d’exposition – moins de 4 ans RR = 1,15 (0,7-1,9) ; plus de 4 ans RR = 0,94 (0,5-1,7) – ni de la dose – moins de 27 UI : RR = 1,1 (0,6-2) ; plus de 27 UI : RR = 1,02 (0,6-1,7). Pour L. Abelhaim, cette étude apporte une réponse importante à la question du possible risque de cancer du sein sous glargine. « Les données sont très consistantes, même si la puissance de l’analyse en sous-groupe est limitée. Et au vu de la puissance, nous sommes assurés que s’il y avait un surrisque, il ne pourrait pas dépasser les 1,4 » conclut-il.

D’après la session diabète et cancer, EASD.

(1)The ORIGIN Trial Investigators. Basal Insulin and Cardiovascular and Other Outcomes in Dysglycemia. NEJM 2012;367:319-28.

(2) Fageot JP et al. Does insulin glargine increase the risk of cancer compared with other basal insulins? A french nationwide cohort study based on national administrative databases. Diabetes Care (on line sept 2012)

(3) Abenhaim L. The international study of insuline and cancer: Diabetes and cancer symposium: making sense of the data. Berlin, 3 octobre 2012.

 Pascale Solère

Source : Le Quotidien du Médecin: 9184